Aller au menu principal Aller au contenu principal

Du chanvre pour dépolluer les eaux chargées en cuivre : deux techniques d’analyse sur synchrotron pour mieux comprendre les mécanismes impliqués

L’utilisation de matériaux lignocellulosiques, tel le chanvre, comme systèmes adsorbants pour récupérer le cuivre présent dans les eaux industrielles, suscite un intérêt grandissant. Pour optimiser les capacités de rétention des matériaux à base de chanvre il est indispensable de connaitre les mécanismes d’adsorption mis en jeu ; or, à ce jour, ils ne sont pas clairement identifiés.

Pour ce faire, une équipe interdisciplinaire a utilisé deux techniques d’analyse : la micro-tomographie X sur la ligne ANATOMIX et l’imagerie par micro-fluorescence X sur PUMA. Leur combinaison a permis de visualiser la distribution spatiale du cuivre complexé par trois types de copeaux de chanvre, contribuant ainsi à mieux comprendre la nature des mécanismes, physiques et/ou chimiques, impliqués dans l’adsorption du métal.

Les copeaux de chanvre, coproduits de la filière industrielle du chanvre, peinent à trouver des débouchés. Or, des études récentes ont conclu que ces matériaux pourraient être un adsorbant peu coûteux, viable et efficace pour récupérer et éliminer des métaux présents dans des effluents pollués. En général, pour expliquer les performances d’adsorption, des modèles mathématiques empiriques sont ajustés aux données mesurées, afin de déduire les interactions impliquées dans le mécanisme d’adsorption. Il est nécessaire de compléter cette approche théorique par une approche expérimentale. Pour ce faire, des équipes de deux laboratoires franc-comtois, Chrono-environnement et FEMTO-ST de Besançon, ainsi que de l’INRAE de Nantes (BIA) et de SOLEIL (lignes ANATOMIX et PUMA), ont choisi de coupler différentes techniques microscopiques et spectroscopiques.

L’objectif de leur étude était de clairement localiser la présence de cuivre adsorbé dans trois matériaux de chanvre : des copeaux lavés à l’eau (SHI-WCu), des copeaux activés à l’aide de carbonate de sodium (SHI-CCu), et des copeaux chimiquement modifiés par l’acide 1,2,3,4-butanetétracarboxylique (SHI-BTCACu).

Tout d’abord, une campagne d’acquisition d’images de micro-tomographie a été réalisée sur la ligne de lumière ANATOMIX. Chaque copeau étudié a été radiographié en trois dimensions par des rayons X de deux énergies photoniques différentes, l’une inférieure au seuil d’absorption K du cuivre et l’autre légèrement plus élevée que ce seuil. En soustrayant ces images l’une de l’autre, il a alors été possible d’isoler le signal du cuivre (zones de haute luminosité) de celui de la matière lignocellulosique et d’obtenir une troisième image montrant uniquement la distribution spatiale du métal.

Cette technique d’imagerie à double énergie a été appliquée pour caractériser les 3 types de copeaux. La reconstruction des images 3D (Figure 1) a démontré que, pour les échantillons SHI-WCu et SHI-CCu, le métal était localisé sur toute la surface externe et interne du copeau, ce qui est en accord avec l’hypothèse d’un mécanisme de diffusion. Au contraire, pour SHI-BTCACu, le cuivre était situé principalement sur la surface externe et autour de la surface des vaisseaux impliquant les fonctions carboxylates par complexation ou échange d’ions.

Ces expériences de micro-tomographie sur la ligne ANATOMIX ont fourni des informations 3D précieuses permettant d’identifier les zones où le cuivre était présent dans des proportions significatives.

Figure 1 : Images 3D obtenues par micro-tomographie pour les copeaux SHI-WCu SHI-CCu et SHI-BTCACu (a) et (b) du cuivre adsorbé sur les mêmes échantillons de chanvre et isolé par la méthode de soustraction d’images tomographiques acquises à deux énergies photoniques de part et d’autre du seuil K d’absorption du cuivre.

Ensuite, pour confirmer ces résultats, des cartographies de micro-fluorescence des rayons X ont été collectées sur la ligne de lumière PUMA à partir de coupes de 20 µm d’épaisseur (Figure 2). La comparaison des cartes a démontré que, dans les échantillons SHI-WCu et SHI-CCu, le cuivre était réparti sur toute la surface libre, à l’intérieur et à l’extérieur, sans zone d’accumulation préférentielle évidente. Pour SHI-BTCACu, une distribution différente du cuivre a été observée car celui-ci était plutôt localisé en périphérie de l’échantillon, en accord avec les résultats de micro-tomographie obtenus sur ANATOMIX. Le traitement des données de PUMA a permis également l’extraction d’un profil de distribution du cuivre le long d’une ligne de 15 pixels (environ 75 µm) d’épaisseur traversant l’échantillon dans le sens radial. En observant les profils, il est apparu que, pour SHI-WCu et SHI-CCu, le signal était présent dans toute la zone analysée (aire du rectangle indiquée en jaune dans la figure 2). Le métal semblait être réparti plus ou moins uniformément dans ces échantillons. Pour SHI-BTCACu, le profil de distribution du cuivre était totalement différent, caractérisé d’une part par deux zones de forte intensité dans les parties les plus externes (périphérie) de la coupe et, d’autre part, par l’absence de signal dans la partie la plus interne. Ces différences de profil de distribution du cuivre dans les copeaux corroborent les mécanismes d’adsorption différents.

Figure 2 : Cartes de micro-fluorescence X de l’élément Cu (a, c et e) et leurs profils de distribution (b, d et f) extraits des coupes internes des copeaux SHI-WCu, SHI-CCu SHI-BTCACu, et comparaison de l’intensité des profils des trois copeaux (g). La localisation de chaque profil est indiquée en jaune sur les cartes de fluorescence.

Pour conclure, l’étude a bénéficié de la complémentarité des deux techniques d’analyse : tomographie sur ANATOMIX et micro-fluorescence RX sur PUMA. La tomographie fournit des informations 3D mais elle est moins sensible aux concentrations des éléments, tandis que l’imagerie par fluorescence X est plus sensible (limite de détection inférieure) mais la reconstruction des images 3D à partir des informations obtenues en 2D est beaucoup plus complexe et coûteuse en temps.

Les différences de distribution du Cu sur les 3 types de copeaux ont permis de valider les mécanismes d’adsorption proposées, surface d’adsorption et diffusion pour SHI-W et SHI-C et chimisorption et échange d’ions pour le SHI-BTCA.

Cette connaissance précise sur les interactions Cuivre/chanvre mises en jeu est fort utile pour adapter le protocole expérimental « batch* » de dépollution des eaux industrielles à des conditions industrielles complexes.

* Un procédé « batch » désigne un traitement industriel dans lequel le produit fini est obtenu à la suite d’une série de tâches plutôt qu’en continu.