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Diffraction cohérente de rayons X : imager à l'échelle nanométrique les formes et déformations de semiconducteurs conçus pour la photonique

Aujourd'hui, les boites quantiques, les réseaux de nanofils et les nanostructures enfouies à l'état solide sont des exemples de composants utilisés dans les dispositifs fonctionnels innovants pour la photonique et l'optoélectronique, notamment les cristaux photoniques, pour des applications comme les ordinateurs optiques ou des cellules photovoltaïques plus efficaces.

Pour la première fois,  et grâce à l’imagerie cohérente par diffraction de rayons X dans la géométrie Bragg (Bragg CDI), une équipe internationale de chercheurs de SOLEIL (lignes CRISTAL et SIRIUS), de l'Institut de Photonique et de Nanotechnologies (CNR, Rome, Italie), de l'Université Sapienza (Rome, Italie), de l'Université de Nottingham (Royaume-Uni), du Laboratoire National de l'Accelérateur SLAC (États-Unis), et du Laboratoire de Physique des Solides (Orsay) a imagé la taille, la forme et le champ de déformation interne à l'intérieur de microstructures et nanostructures de GaAsN incluses dans une couche épitaxiale hydrogénée de GaAsN/GaAs.

Ces résultats, publiés dans Communications Materials, démontrent que la technique de Bragg CDI peut être utilisée pour l'évaluation directe de la qualité structurale de microstructures et nanostructures photoniques uniques incluses ou enfouies, même lorsque les microscopies conventionnelles ne peuvent être utilisées.

Les dispositifs photoniques sont traditionnellement fabriqués par des processus lithographiques (méthodes « descendantes »), qui produisent des structures hautement uniformes avec de mauvaises propriétés optiques, ou par des processus d'auto-assemblage dans des hétérostructures soumises à de fortes contraintes (méthodes « ascendantes »), qui produisent des dispositifs hautement efficaces mais au détriment du contrôle de leur distribution spatiale. Ces deux approches limitent par conséquent les performances des dispositifs photoniques. Une troisième voie a récemment été démontrée, elle consiste à exploiter les effets de l'irradiation de  nitrures dilués (et particulièrement GaAsN) par de l'hydrogène. L'irradiation par l'hydrogène produit des complexes N-H stables qui altèrent les paramètres du réseau cristallin ainsi que l'énergie de bande interdite. Par conséquent, une modulation des propriétés optiques peut être créée de façon entièrement contrôlée en incorporant des atomes d'hydrogène à des endroits choisis du cristal. L'équipe de chercheurs a utilisé cette approche pour créer différentes structures non hydrogénées de GasAsN incluses dans une couche épitaxiale hydrogénée de GaAsN/GaAs (voir la figure 1a), ces deux structures ayant différentes énergies de bande interdite.

Fig. 1 : Illustration du procédé de micro-fabrication décrit basé sur l'utilisation de masques d'hydrogène (MH) définis par lithographie et d'irradiation par des ions H : après élimination du masque, une microstructure triangulaire de GaAs1−yNy
subsiste dans la couche épitaxiale, entourée de régions de GaAs1−yNy hydrogéné avec un paramètre de réseau plus grand.

b Microscopie électronique à balayage (MEB) de la structure MH utilisée avant l'élimination du masque.

c Carte d'intensités en couleur micro-Raman de l’objet triangulaire de GaAs0.991N0.009 fabriqué comme dans l'illustration.

Or, il existe peu de méthodes de caractérisation non destructives à haute résolution donnant accès à la taille, la forme et au champ de déformation de ces nanostructures, paramètres pourtant fondamentaux pour contrôler pleinement les propriétés et la réponse de ces dispositifs photoniques. Les méthodes de microscopie conventionnelles s'avèrent limitées pour caractériser de telles structures incluses. Les techniques micro-Raman et de microphotoluminescence (PL) n'offrent pas une résolution spatiale suffisante pour imager nettement ces structures (voir la figure 1c), et ne donnent pas accès à la distribution des contraintes à l'intérieur des microstructures qui altère fortement les propriétés optiques de ces dernières. Les techniques de microscopie électronique, quant à elles, ne conviennent pas en raison du très faible contraste entre les parties hydrogénées et non-irradiées du dispositif. D'autre part, les structures doivent être enterrées sous la surface pour obtenir une bonne qualité optique : des échantillons fins doivent alors être préparés, ce qui introduit des déformations supplémentaires et d'autres artefacts.

Ces problèmes peuvent être résolus efficacement grâce à l'imagerie par diffraction cohérente de rayons X en géométrie Bragg (ou Bragg Coherent Diffraction Imaging, soit Bragg CDI, en anglais), une technique novatrice développée au début des années 2000 qui nécessite une source de rayons X intenses, provenant typiquement de l'onduleur d'un synchrotron de 3e (ou 4e) génération, comme ceux des lignes de lumière CRISTAL et SIRIUS de SOLEIL. La technique de Bragg CDI permet d'obtenir la structure 3D (taille, morphologie, composition, mais aussi champs de déplacement et de contrainte, ainsi que les défauts) des microstructures et nanostructures (à partir de 100 nm) avec une résolution spatiale d'environ 5-100 nanomètres et une sensibilité aux fluctuations du champ de déplacement dans la plage picométrique. Le Bragg CDI est une technique très sensible pour imager les contraintes à l'intérieur des microstructures et des nanostructures.

Fig. 2 - Résultats de Bragg CDI pour deux structures différentes obtenues avec le masque triangulaire de côté 5-µm utilisant la couche épitaxiale de GaAs1−yNy avec y=0,9 %. À gauche : Reconstruction d'une microstructure présentant sa forme, avec une carte 3D du déplacement des atomes hors du plan (phase, indiquée par l'échelle de couleurs), cette grandeur étant directement liée à la contrainte hors du plan (εzz). À droite : Reconstruction d'une deuxième microstructure présentant une distribution de contrainte beaucoup moins uniforme.

Les chercheurs ont utilisé le dispositif de diffraction cohérente de la ligne de lumière CRISTAL, consacré aux mesures en Bragg CDI avec la résolution la plus élevée possible, ainsi que la ligne de lumière SIRIUS, avec un dispositif innovant. L'équipe a obtenu des images 3D à haute résolution des structures incluses de GaAsN de 5 microns et des structures photoniques de 500 nm, avec des résolutions respectives de 51 et 22 nm (voir la figure 2), soit douze fois mieux que la résolution obtenue par imagerie optique. En outre, le champ de contrainte a aussi été obtenu grâce à cette technique Bragg CDI. Ces résultats permettent de considérer que la distribution des déplacements atomiques est assez constante dans le volume des structures, et augmente de façon significative au voisinage des bords uniquement. Ces observations ont été entièrement confirmées par les simulations par Analyse des Eléments Finis. 

Ce résultat permet d'évaluer directement la qualité structurelle des microstructures et nanostructures uniques produites par la méthode d'hydrogénation sélective. Il ouvre la voie vers l'application de ces méthodes de fabrication aux dispositifs nanophotoniques. D'autre part, ces travaux laissent entrevoir l'application de la technique Bragg CDI comme méthode de caractérisation privilégiée pour les composants photoniques enfouis /inclus, et en particulier avec la mise à niveau future du synchrotron SOLEIL qui permettra d'étudier des structures bien plus petites de manière similaire.