Aller au menu principal Aller au contenu principal

Des éléments terres rares piégés à l'intérieur des vaisseaux du tissu conducteur d'une fougère

Les éléments terres rares (ETR) sont des métaux stratégiques car ils entrent par exemple dans la composition de matériaux utilisés dans les technologies bas-carbone (aimants des turbines des éoliennes notamment). Mais leur dissémination croissante dans les écosystèmes en fait des contaminants émergents, et suscite des inquiétudes quant à leur toxicité. Il est donc important de mieux comprendre le transfert des ETR dans la chaîne trophique.

Dans cette étude, les sites d'accumulation d'ETR dans la fougère modèle Dryopteris erythrosora ont été identifiés par microfluorescence aux rayons X. Il apparait que les ETR sont transportés depuis les racines de la plante jusqu’à ses frondes par la sève brute et sont stockés dans les vaisseaux du xylème.

Les 17 éléments chimiques dits « terres rares » (ETR) peuvent être classés selon leur masse atomique en ETR légers (du lanthane à l'europium, plus le scandium) et ETR lourds (du gadolinium au lutécium, plus l'yttrium). Leurs propriétés physico-chimiques rendent les ETR essentiels dans de nombreux domaines, tels que l'énergie verte, l'industrie, les hautes technologies et la médecine. Cependant, l'exploitation minière des ETR, leur utilisation intensive et leur faible recyclabilité sont responsables d'une contamination croissante des sols et des eaux.

La phytoremédiation est une solution naturelle qui consiste à utiliser des plantes pour assainir les sites contaminés. Élucider les mécanismes de transfert et de stockage des ETR dans les plantes est de la plus haute importance pour comprendre leur transfert vers la faune et la flore, mais aussi pour sélectionner les meilleurs candidats pour la phytoremédiation.

Parmi les rares espèces végétales qui accumulent les ETR, plusieurs espèces de fougères ont été identifiées. La distribution des ETR dans les chloroplastes ou les parois cellulaires des fougères tropicales accumulatrices a d'abord été rapportée par des techniques de fractionnement des tissus ou en utilisant des traceurs radioactifs. Cependant, les biais expérimentaux associés au fractionnement des tissus, à l’altération des racines lors de l'utilisation de traceurs radioactifs des ETR, ou à la détection indirecte des ETR ont encouragé la mise en œuvre d’une détection via l’analyse plus précise, non destructive et directe que fournit la microfluorescence aux rayons X (µXRF) sur synchrotron. De plus, une localisation des ETR lourds dans des tissus végétaux intacts n'avait jusqu’alors jamais été réalisée.

Dans cette étude, résultant d'une collaboration entre l'équipe de la ligne de lumière LUCIA, l'équipe de la ligne de lumière P06 (DESY Synchrotron, Hambourg), le Laboratoire Chrono-environnement (Univ. de Franche-Comté, Montbéliard) et le LIEC (Univ. de Lorraine, Nancy & Metz), les sites d'accumulation des ETR ont été analysés chez D. erythrosora. Le but de ces travaux était d’acquérir des connaissances sur le transfert des ETR dans cette fougère modèle, résistante au froid, avec pour perspective l’utilisation ultérieure de cette plante dans la phytoremédiation de sites contaminés situés dans les régions tempérées/froides.

Une première série d'expériences sur la ligne P06 a permis de déterminer la distribution des ETR au niveau de l'organe végétal entier. Les ETR légers et lourds ont été trouvés dans les veines conductrices des pennes (sous-partie de la fronde) (Figure 1), une distribution différente de celle des nutriments tels que le K et le Ca.

Figure 1 : Distribution des ETR dans les pinnules fraîches de Dryopteris erythrosora. Les cartes mono-élémentaires de fluorescence X sont données pour La, Yb, Mn et Ca. Barre d'échelle = 3 mm. L'échelle de couleur est une échelle quantitative en mg/kg.

Cette accumulation des ETR dans les vaisseaux a incité les scientifiques à étudier plus en détail leur distribution par cartographie μXRF élément par élément sur la ligne LUCIA. Il est apparu que les ETR sont distribués dans la veine centrale plutôt que dans les cellules environnantes (figure 2), ce qui ne pouvait être déduit de la figure 1.

Figure 2 : Distribution des ETR à l'intérieur des vaisseaux de sections transversales hydratées congelées de pinnules de Dryopteris erythrosora. Les cartes de fluorescence X de 3 éléments sont données. La veine centrale de (A) est agrandie dans B-D. Barres d'échelle = 300 (A) ou 100 µm (B-D).

Dans le rachis de la fronde, les ETR ont également été trouvés à l'intérieur des tissus conducteurs, comme le montre la détection à l'intérieur des faisceaux vasculaires (Figure 3). A l'inverse, K, Mn et Ca étaient présents principalement dans l'endoderme, le cortex et l'épiderme.

Figure 3 : Distribution des ETR à l'intérieur du rachis de Dryopteris erythrosora. Des cartes de fluorescence X pour 3 éléments sont données. Barres d'échelle = 250 (A-C) ou 50 µm (D-F). c : cortex, en : endoderme, ep : épiderme, mx : métaxylème, ph : phloème, px : protoxylème.

En conclusion, cette étude a révélé que la distribution des ETR est associée principalement aux vaisseaux conducteurs chez D. erythrosora. Ce piégeage des ETR dans les vaisseaux pourrait être dû à leur immobilisation par des ligands dans la sève, ou au manque de systèmes permettant leur relargage hors des vaisseaux. La comparaison de la localisation cellulaire des ETR avec des éléments chimiques qui ont des potentiels de redistribution/mobilité contrastés, comme le Ca, le Mn et le K, a permis de mieux comprendre la mobilité des ETR dans les plantes.

Les recherches futures se concentreront sur la comparaison des sites de stockage des ETR chez diverses espèces de plantes.