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De l'eau, de l'air, des carburants propres : Chapitre suivant

Plus de 40 milliards de tonnes de CO2 sont émises, chaque année, par les activités humaines. Que faire de ces déchets ?
Dans la nature, les plantes captent le CO2 et le transforment en matière végétale –la biomasse- grâce à l’énergie solaire. C’est la photosynthèse.
A l’Institut de Chimie Moléculaire et des Matériaux d'Orsay, l’équipe de scientifiques « photosynthèse artificielle » s’inspire de ce phénomène naturel pour transformer le CO2, non pas en biomasse mais en carburants propres, comme le méthanol ou le méthane.
En 2018 ils sont venus à SOLEIL, sur la ligne de lumière ROCK, pour étudier quels sont les meilleurs catalyseurs de la réaction chimique de transformation du CO2 afin que celle-ci soit la plus rapide et efficace possible. Dans le cadre de notre série "Chapitre suivant", nous avons retrouvé les scientifiques filmés en 2018 et leur avons demandé comment leurs travaux de recherche ont avancé depuis.

Zakaria Halime (CNRS, ICMMO) ici filmé en 2018 sur la ligne ROCK en train de préparer son expérience avec l'aide de Stéphanie Belin, à gauche, scientifique sur la ligne.

 

Se débarrasser du CO2 qui sature notre atmosphère... Un Graal écologique que de nombreux scientifiques tentent d'atteindre avec opiniâtreté. C'est le cas de Zakaria Halime, un chimiste qui cherche tous les moyens possibles pour transformer l'indésirable dioxyde de carbone. Pour en faire notamment du CO, le monoxyde de carbone. Car ce gaz que l'on redoute lorsqu'il s'échappe de notre chaudière est en réalité un composant clé pour tout un pan de l'industrie. On en produit plusieurs centaines de milliers de tonnes par an pour fabriquer ensuite du méthane, du méthanol, des hydrocarbures, ou encore de l'acide acétique.

Zakaria Halime dispose d'alliés de choix pour casser la molécule de CO2 : les catalyseurs – comme les porphyrines de fer – qui améliorent et accélèrent la réaction chimique.
En 2018, il met au point avec Benedikt Lassalle, scientifique au synchrotron SOLEIL, une nouvelle méthode de spectroscopie pour observer en temps réel, sous rayons X, la réaction de réduction du CO2 en CO. Cette méthode s'appuie sur une cellule électrochimique placée sur la ligne de lumière ROCK, de SOLEIL. La méthode est probante et donne lieu à une première publication (1).

Par la suite, Zakaria donne encore plus de souplesse au système catalytique qui casse la molécule de CO2. Le chimiste est désormais en mesure de moduler la structure même du catalyseur, pour lui donner les qualités qui sont requises dans une application donnée. Par exemple, pour obtenir une réaction plus économe en énergie. Ou bien une réaction plus rapide. Ou encore, une réaction efficace même si le CO2 est présent en faible quantité. Bref, une sorte de catalyseur « couteau suisse », qui s'adapte aux objectifs (2).

De nouveau avec Benedikt Lassalle, Zakaria utilise cette fois la ligne LUCIA pour tester une autre approche. Au lieu de laisser la réaction se produire dans un solvant organique, comme c'est habituellement le cas, il dépose le catalyseur sur une électrode modifiée. Le CO2 est alors réduit dans l'eau, tout simplement. Ce procédé présente des avantages très intéressants pour l'industrie : le produit final peut être recueilli dans l'eau au lieu de nécessiter une extraction d'un mélange organique, et la réaction peut être reproduite à plus grande échelle (3).

Mais la quête incessante de méthodes efficaces pour détruire le CO2 et en faire du CO peut intéresser d'autres secteurs que ceux liés à l'énergie. Notamment le domaine pharmaceutique.
Lors du processus de validation d'un nouveau médicament, il est courant de le « radio-marquer ». C'est-à-dire de lui intégrer un marqueur très légèrement radioactif, qui permet de suivre la distribution de la molécule active dans l'organisme. Quatre-vingts pour cent des médicaments passent par cette phase méconnue, avant d'être mis sur le marché.
Zakaria Halime propose en 2023 un concept novateur pour assurer ce radio-marquage. Tout d'abord, en employant du CO2 dont le carbone est légèrement radioactif (du « carbone 13 » ou du « carbone 14 » à la place du « carbone 12 », le plus abondant). Ensuite, en le réduisant en CO, tout en conservant cette radioactivité. Enfin, en insérant ce CO dans la molécule active : et voilà le médicament « marqué ». Cette idée originale occasionne une publication dans la célèbre revue Nature (4).

Dans cette riche et complexe nébuleuse de réactions chimiques, Zakaria envisage d'avoir un jour à nouveau recours au synchrotron : « La spectroscopie des rayons X en temps réel est un outil important. Je suis en dialogue quasi-permanent avec Benedikt Lassalle, et ça n'est pas près de s'arrêter ! »