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Contribution au chauffage des futurs plasmas de fusion - Excitations rotationnelles et vibrationnelles de H2 et D2

La fusion nucléaire, réaction qui alimente le Soleil et les étoiles, pourrait être une voie d’avenir pour une production industrielle d’énergie sur terre, abondante et non émettrice de CO2, mais il reste toutefois certains verrous scientifiques et technologiques à franchir.
C’est l’objectif du Tokamak ITER, dont le but est de produire 400 MW par la fusion des noyaux d’atomes de Deutérium (D) et de Tritium (T) (1) sur une durée significative (~16 minutes), premier pas vers le réel réacteur de fusion (DEMO).
La ligne de lumière DESIRS participe, dans le cadre du consortium EUROFusion rassemblant des scientifiques de Grenoble, Paris, Orléans, Patras, Eindhoven et Moscou, à des études fondamentales sur l’une des étapes du chauffage du plasma de fusion : la production d’ions négatifs d’hydrogène et de deutérium.

En tonne équivalent pétrole (tep), unité de mesure de l’énergie, une tonne de bois équivaut à 0,3 tep, une tonne de charbon à 0,7 tep alors qu’une tonne d’uranium U235 équivaut à 13 000 tep et une tonne de deutérium (D2) et de tritium (T2), à 8 millions de tep ! On comprend donc aisément l’intérêt de maîtriser le procédé de fusion (D-T). L’amorçage de ces réactions de fusion dans un plasma de tokamak nécessite des dispositifs de chauffage additionnels au tokamak afin d’atteindre le seuil de ces réactions nucléaires : le plasma est chauffé à plus de 200 millions de degrés (température ionique Ti~20 keV) par des ondes radiofréquence et par l’injection de faisceaux d’atomes de deutérium neutre (D°) à haute énergie et haute puissance (34 MW de D° à 1 MeV sur ITER). Le chauffage par injection de neutres prévu pour ITER consiste à accélérer des ions négatifs de deutérium D- à 1 MeV et à les neutraliser par « épluchage » de l’électron supplémentaire de façon à pénétrer le plasma de fusion sans être défléchis par le champ magnétique de confinement du plasma. Ces neutres (D°) sont alors ré-ionisés dans le plasma par collisions et piégés par le champ magnétique de confinement, transmettant ainsi leur énergie cinétique ; c’est un procédé de chauffage très efficace, essentiel à l’amorçage et contrôle des réactions de fusion.

Pour ITER, ces ions négatifs sont produits dans un plasma froid (température électronique Te < 1 eV) par simple capture d’électrons par des atomes (D) et/ou double capture par des ions de deutérium (D3+)  bombardant des surfaces métalliques recouvertes de césium (Cs). Pour atteindre la densité d’ions négatifs requise pour l’accélérateur d’ITER (JD-~250 A/m2), la consommation de césium est relativement élevée (~10µg/s), ce qui nécessite une maintenance significative durant l’exploitation d’ITER. Le césium étant un puissant réactif, sa diffusion progressive dans l’étage d’accélération génèrera des particules parasites. 

Afin de circonvenir à ces difficultés, des scientifiques de Grenoble, Paris, Orléans, Patras (Grèce), Eindhoven et Moscou conduisent dans le cadre du consortium EUROFusion des études fondamentales sur la production d’ions négatifs (H-/D-) (2) sans l’emploi de césium, pour le développement du réacteur DEMO.

L’intérêt de la ligne de lumière DESIRS

Une alternative à l’utilisation du Cs pourrait être la production de tels ions négatifs (H-/D-) par attachement dissociatif (AD) (cf. Fig. 1) de molécules ro-vibrationnellement excitées H2*(v’’,J")/D2*(v’’,J") dans leur état électronique fondamental (v” et J” représentant les niveaux vibrationnels et rotationnels) avec des électrons froids (Te < 1 eV). Ces hauts niveaux ro-vibrationnels des molécules sont essentiels pour le mécanisme AD : la section efficace de réaction augmente d’un facteur 10 000 entre les niveaux v”=0 et v”=5. La spectroscopie d’absorption sur la ligne de lumière DESIRS offre un moyen unique pour sonder directement ces niveaux moléculaires produits par désorption recombinative sur des surfaces et par excitation vibrationnelle (réaction E-V ; cf Figure 1) dans le volume du plasma.

Le but du travail réalisé sur DESIRS est de comparer le comportement de plusieurs matériaux et leur capacité à produire des molécules ro-vibrationnellement excitées. Plusieurs étapes ont déjà été franchies sur la branche B de la ligne DESIRS :

- première détection en 2016 du niveau H2*(v”=2,J") obtenu avec des filaments de tungstène chauffés ;

- première détection du niveau H2*(v”=6,J") en plasma RCE (3) d’hydrogène et première démonstration de l’effet d’un matériau sur la production de molécules H2*(v”,J") en 2017  ; 

- première détection des niveaux H2*(v”=7,J") et D2*(v”=3,J") en plasmas RCE en 2018.

Fig. 1 Depuis le haut : dans un gaz froid, sans plasma, seul les niveaux rotationnels j’’ du niveau fondamental v’’=0 sont peuplés. Dans le plasma, des électrons chauds (Te > 20 eV) sont produits. Depuis la gauche de la figure : la désorption recombinative est une réaction entre un atome d’hydrogène déjà adsorbé à la surface du matériau et un autre atome issu du plasma. Cette rencontre crée une molécule dans un état électronique fondamental ro-vibrationnellement excité (v’’ >0). L’attachement dissociatif avec un électron froid (Te < 1 eV) produit un ion négatif ; les collisions entre molécules et électrons chauds (réaction E-V) produisent des états singulets (B et C) qui se désexcitent radiativement en ces mêmes molécules ro-vibrationnellement excitées. Tous ces mécanismes restent identiques pour le deutérium.

Lors de ces différentes campagnes sur la ligne DESIRS, plusieurs conditions expérimentales ont été explorées : pression de fonctionnement, puissance micro-onde, température de paroi, position dans le volume du plasma et différents matériaux. L’utilisation de la spectroscopie à transformée de Fourier (FTS en anglais) en décembre 2018 ainsi que d’un dispositif expérimental sans fenêtres ont permis une amélioration significative aussi bien de la plage de longueurs d’onde couverte que de la résolution spectrale atteinte ; neuf réglages différents ont été nécessaires pour couvrir les transitions de v’’=0 à v’’= 8 pour H2 dans la gamme d’énergie allant de 61000 à 94000 cm-1 (105 à 165 nm)  avec une très haute résolution (0.95 pm de FWHM (4), soit des pouvoir résolvants de l’ordre de 150000). L’efficacité de collection (multiplexe) des  données sur la branche TF permet de faire varier un nombre important de paramètres en peu de temps ce qui est un atout pour comprendre la physique des plasmas qui reste un milieu complexe. Grâce à l’exploitation des spectres FTS, on peut déterminer la distribution ro-vibrationnelle absolue de H2 et D2 et ainsi tenter d’améliorer la production de ces molécules dans leurs états excités. Il sera par exemple possible de comparer différents matériaux, comme le tantale, le tungstène, l’acier inoxydable ou le quartz, ce dernier est déjà connu pour son très faible coefficient de recombinaison.

La figure 2 présente un spectre typique d’absorbance obtenu en plasma D2 faisant face à une surface de tantale. Sur ce spectre rotationnel, les branches P et R sont observées pour les transitions 0-6 jusqu’à J’’ = 8. Toutes les transitions P et R exploitables sont utilisées pour déterminer les populations vibrationnelles du niveau fondamental auquel le mécanisme AD est sensible.

Figure 2 : Absorbance (ln(Io/I)) de D2*(v"=6,J") en fonction du nombre d’onde (cm-1) obtenu à 150W, 6 mTorr, pour le tantale comme matériau faisant face au plasma. 0-6 and 2-7 correspondent à des transitions entre deux états vibrationnels de la molécule : depuis H2 (X Sg+ ,v'' = 6, J'') jusqu’à l’état B 1Su+ (v' = 0) et entre  H2 (X Sg+ ,v'' = 7, J'') et B 1Su+ (v' = 2). Io correspond à l’intensité de la lumière issue du synchrotron sans absorption (référence) et I correspond à l’intensité de la lumière après absorption par le milieu.

De plus, au-delà des transitions moléculaires, les transitions atomiques de Lyman (5) (cf. fig. 3), depuis Ly-γ jusqu’à Ly-θ (97.25 nm à 92.3 nm) ont été étudiées lors des mesures par FTS pour obtenir la densité absolue des atomes d’hydrogène et ainsi en déduire la densité absolue des différents niveaux vibrationnels de la molécule dans son état fondamental.

Fig. 3 Absorbance des transitions atomiques de Lyman obtenues en plasma H2 pour le quartz comme matériau faisant face au plasma à basse pression et faible température (0.6 mTorr et 173 K) pour une puissance micro-onde de 150 W. Les séries de Lyman servent à obtenir la densité absolue d’atomes H ou D dans le plasma.

 

Perspectives

Grace à la mise au point de cette méthode de diagnostic des plasmas H2/D2, il est désormais possible d’effectuer des mesures en absorption résolues spatialement des niveaux ro-vibrationnels excités des molécules H2/D2 dans le plasma. Ceci est nécessaire et permettra une validation expérimentale des modèles bidimensionnels avant la conception de nouvelles géométries de sources d’ions destinées à la fusion.

 

(1) Deutérium (D) et Tritium (T) sont des atomes très légers, isotopes de l’atome d’hydrogène (H). Comme l’hydrogène, leur noyau est constitué d’un proton. En plus de ce proton, le noyau de D contient un neutron, et celui de T en contient deux.

(2) Le dihydrogène et les ions H- seront employés pour le démarrage du réacteur ITER et pour ses premières années de fonctionnement avant l’utilisation du deutérium moléculaire et des ions D-. Le deutérium moléculaire sera utilisé lorsque les réactions de fusion nucléaire seront amorcées, dans une deuxième étape.

(3) Résonance cyclotronique électronique, mécanisme de couplage entre la composante électrique E(t) d’une onde électromagnétique de fréquence et le mouvement d’un électron dans un champ magnétique constant perpendiculaire, utilisée pour produire le plasma.

(4) Paramètre de la FTS lié à la puissance de résolution de l’instrument. Il s’agit en fait de la largeur minimale de raie qui peut être discernée dans un spectre (FWHM correspond à la largeur à mi-hauteur de la raie). Ainsi, si la valeur est suffisamment petite, l’instrument peut potentiellement distinguer des absorptions voisines d’un spectre ce qui est fréquemment le cas pour des espèces atomiques ou dans le cas de petites molécules.