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Compétition entre fragmentation et ionisation dans les hydrocarbures polycycliques aromatiques : une question de taille

Des travaux menés par une équipe hollandaise sur la ligne DESIRS de SOLEIL ont montré que la taille des hydrocarbures polycycliques aromatiques influait sur les processus photo-induits qu’ils subissaient dans le milieu interstellaire (ionisation contre fragmentation). Ces résultats, publiés dans The Astrophysical Journal Letters, apportent de nouvelles informations sur la stabilité de ces espèces qui peuplent de façon abondante le milieu interstellaire et sur les mécanismes liés au rayonnement ultra-violet lointain qui la régissent.

Et si les gros hydrocarbures polycycliques aromatiques (PAHs) étaient encore plus stables qu’on ne le pensait ? C’est ce que suggèrent les résultats obtenus par des scientifiques de l’Université de Leiden (Pays-Bas), du CNRS, de l’Université de Toulouse et du synchrotron SOLEIL. Ils se sont intéressés aux phénomènes dominants de transformation des PAHs dans le milieu interstellaire. Ils ont ainsi mis en évidence que pour les petits hydrocarbures, la fragmentation (perte d’atomes d’hydrogène) prédominait sur l’ionisation. À mesure que la taille des espèces augmente, l’ionisation devient de plus en plus importante jusqu’à devenir prédominante. Ainsi, pour les grands PAHs, il apparaît que la fragmentation ne devient importante que lorsque l’énergie du photon atteint le seuil maximum d’ionisation accessible.

Pour cette étude, trois monocations d’hydrocarbures PAHs produits par évaporation et ionisation par impact d’électron, couvrant en termes de taille une partie significative du spectre astrophysique, ont été stockés dans un piège à ion : le coronène (C24H12), l’ovalène (C32H14) et l’hexa-peri-hexabenzocoronène (HBC, C42H18). Les chercheurs ont suivi, par spectrométrie de masse, l’évolution de ces cations soumis à un flux de photons de l’ordre de 1014/1015 photons par seconde avec une bande passante de 7 %. Les expériences ont été menées sur la ligne DESIRS du synchrotron SOLEIL, travaillant en ultraviolet sous vide (VUV) dans une gamme d’énergie située entre 8 et 40 eV. Les spectres enregistrés à différentes énergies indiquent que pour une énergie photonique donnée, le rendement du processus d’ionisation augmente avec la taille des hydrocarbures, tandis que la fragmentation est plus prononcée pour les plus petits PAHs. Ainsi, après une irradiation à 20 eV, les cations du coronène et de l’ovalène montrent respectivement la perte de deux et quatre atomes d’hydrogène. À cette même énergie, seulement 3% du HBC est fragmenté, contre 30%(+/-10%) pour l’ovalène et 75%(+/-3%) pour le coronène. Lorsque l’énergie des photons croit, les rendements de fragmentation et d’ionisation augmentent tous les deux, mais les proportions restent les mêmes.

Intensité normalisée du cation PAH avant et après irradiation. En haut : irradiation pendant 200 ms à 20 eV (62 nm). En bas : irradiation pendant 500 ms à 13.2 eV (63.9 nm). De gauche à droite : cations de HBC, ovalène et coronène.

Deux explications ont été avancées pour justifier ces effets de domination liés à la taille des PAHs. D’abord, un nombre important d’électrons conduit nécessairement à une plus grande densité d’états électroniques. De ce fait, dans les grands PAHs, la relaxation de l’état excité est plus lente car le système explore un plus grand espace de phase. Cet allongement de la durée de vie électronique conduit ainsi à un meilleur rendement d’ionisation par couplage avec le continuum électronique. Deuxièmement, les espèces plus grandes, du fait de leur plus grand nombre de modes vibrationnels susceptibles de recevoir de l’énergie, ont besoin d’une énergie interne plus conséquente que les petits PAHs pour atteindre un même niveau d’excitation pouvant conduire à la fragmentation. La fragmentation n’est donc pas favorisée pour les gros hydrocarbures et n’a lieu que lorsque l’énergie du photon atteint le seuil maximum d’ionisation accessible. Ces derniers sont donc très stables chimiquement dans le milieu interstellaire.

Les hydrocarbures polycycliques aromatiques sont abondamment présents dans le milieu interstellaire, contenant environ 10 % du carbone interstellaire. Ils sont possiblement à l’origine des bandes interstellaires diffuses, ces absorptions irrégulières imprimées dans les spectres des objets astronomiques et jouent de ce fait un rôle majeur dans de bilan radiatif de l’espace interstellaire. Leur étude est donc primordiale pour mieux évaluer leur stabilité dans l’espace. Les résultats obtenus ici montrent qu’il est nécessaire de prendre en compte aussi bien les paramètres cinétiques de la fragmentation des PAHs que leurs propriétés d’ionisation. Des études supplémentaires de chimie quantique sont désormais nécessaires pour approfondir et compléter ces résultats.