Aller au menu principal Aller au contenu principal

Comment casser des sucres avec de la lumière, et dans quel but ?

Une équipe de l’INRA de Nantes, a utilisé une méthode innovante basée sur la spectrométrie de masse et utilisant le rayonnement synchrotron  de la ligne DISCO à SOLEIL pour photo-activer des sucres dont la valorisation présente un intérêt économique pour diverses industries (agro-alimentaire, pharmaceutique, cosmétique).

 

Pouvoir caractériser la structure des molécules biologiques est fondamental, à la fois pour mieux comprendre leur rôle et pour mieux maîtriser leur utilisation. En particulier, les « sucres », ou glucides, sont des molécules naturellement abondantes, dont la valorisation présente un intérêt économique pour diverses industries (agro-alimentaire, pharmaceutique, cosmétique). La complexité et l’hétérogénéité de ces structures posent cependant un véritable défi aux sciences analytiques. Une équipe de l’INRA de Nantes, a utilisé une méthode innovante basée sur la spectrométrie de masse et utilisant le rayonnement synchrotron  de la ligne DISCO à SOLEIL pour photo-activer les molécules. L’étude a mis en évidence le potentiel de ce montage pour la caractérisation structurale des glucides, permettant jusqu’à l’identification de modifications chimiques subtiles portées par ces molécules. Leurs travaux actuels visent à généraliser les conclusions obtenues, pour mieux comprendre les phénomènes mis en œuvre et rendre à terme les résultats atteignables sur des dispositifs analytiques plus conventionnels.

Figure 1 : Schéma du montage expérimental utilisé sur la ligne DISCO du synchrotron SOLEIL. Celui-ci donne accès à la photo-activation, dans la trappe ionique du spectromètre de masse, des glucides introduits par Electrospray (ESI). La photo-activation est réalisée par des photons hautement énergétiques et produit de nombreux fragments, dont le contenu informatif est supérieur à ceux obtenus par les méthodes d’activation conventionnelles.

 

Sensible, rapide et au contenu informatif remarquable, la spectrométrie de masse apparaît comme une méthode de choix pour aborder la détermination structurale des molécules biologiques. La caractérisation de la structure des molécules en spectrométrie de masse consiste à "casser" les molécules et à mesurer les masses des fragments obtenus pour la reconstruire tel un puzzle. La méthode conventionnelle utilisée (LE-CAD), disponible dans de nombreux laboratoires, quoique puissante dans de nombreux cas, échoue généralement à déterminer les structures des glucides complexes car les informations obtenues pour reconstruire le puzzle deviennent insuffisantes devant sa complexité.

Dans ce contexte, les chercheurs ont évalué une nouvelle méthode de fragmentation basée sur une activation des molécules par des photons de haute énergie. Un tel dispositif est proposé sur la ligne DISCO du synchrotron SOLEIL, avec l’avantage de donner accès à des photons très énergétiques dans une large gamme (de 5 à 22 eV). Original y compris dans le monde des synchrotrons, ce montage était ici utilisé pour la première fois pour caractériser la structure fine de glucides complexes. Les scientifiques  escomptaient que les glucides étudiés, en suivant des voies de fragmentation différentes de celles observées en LE-CAD, produiraient des fragments plus informatifs, conduisant à une caractérisation structurale non ambiguë et plus complète.

 

Un mélange complexe de glucides issus de la dégradation enzymatique d’une pectine de citron a été choisi pour évaluer la méthode. Les pectines sont massivement utilisées dans l’agro-industrie pour leur propriété gélifiante, et l’on sait que cette caractéristique dépend fortement de modifications chimiques subtiles (groupements Méthyl) portées par les acides galacturoniques qui constituent leur squelette.

Soumis à une activation par le rayonnement synchrotron, les glucides étudiés ont conduit à des fragments plus nombreux, mais surtout plus informatifs que ceux produit par la méthode conventionnelle. De plus, des règles de fragmentation ont pu être établies indépendamment des groupements chimiques des molécules, ce qui a permis de systématiser l’interprétation des spectres et d’aboutir à une interprétation à la fois plus simple et plus complète.

L’apport de ce travail est à la fois technologique, puisqu’il démontre que la photo-activation à haute énergie conduit à des fragments complémentaires et plus informatifs que ceux observés en LE-CAD. De plus, cette étude est de loin la plus exhaustive et la plus précise en termes de structures résolues sur des produits dégradés de pectines, puisque près de quarante structures ont été totalement caractérisées, y compris en ce qui concerne les modifications chimiques présentes. Cette exhaustivité a permis d’apporter des informations inédites sur le mode d’action de l’enzyme utilisée.

 

Des travaux en cours visent à étendre nos observations à d’autres classes de glucides, pour établir la généricité des phénomènes observés. L’originalité de la méthode de fragmentation et la qualité des résultats obtenus constituent une avancée significative dans le domaine de la résolution structurale des glucides complexes. Cette étude suscite d’ores et déjà l’intérêt des scientifiques qui travaillent sur les fonctions et les propriétés de ces molécules.