Jurassic Park au Synchrotron SOLEIL
Quel le point commun entre SOLEIL et le cinéma ?...
Alors que le troisième volet de la série de films Jurassic World sortait en salles, nous vous proposions de revenir aux origines de la saga par le biais de recherches effectuées à SOLEIL.
La préservation exceptionnelle d'inclusions dans l’ambre (insectes plantes...) a fait l'objet de nombreux fantasmes, notamment la possibilité d’en extraire l'ADN d'organismes disparus. Si l’on sait à présent que l’ADN ancien ne subsiste pas dans l’ambre, les processus à l’origine de sa dégradation, ainsi que de celle des organismes eux-mêmes, restent méconnus.
Début juin 2022, des scientifiques d’IPANEMA et de SOLEIL ont utilisé la ligne de lumière PUMA afin de décrypter les processus de préservation dans l'ambre ; ils ont comparé des insectes fossiles avec des insectes actuels inclus dans de la résine d'arbre fraîche. Les chercheurs ont notamment étudié des mouches et moustiques fossiles piégés dans l'ambre de la Baltique, vieille de 40 millions d’années. Leur objectif : décrire les mécanismes précoces associés à la fossilisation dans l’ambre.
2025 : retour sur ces recherches
Des moustiques fossilisés capturés dans l'ambre, de magnifiques reflets dorés, et une source d'ADN propice à la renaissance des dinosaures... Voilà le spectaculaire fantasme que la saga « Jurassic Park » a quasiment inscrit dans l'imaginaire collectif. Mais on sait à présent que le précieux écrin d'ambre ne retient pas du tout d'ADN. Pire que cela, il ne conserve parfois même pas d'insecte – juste le moulage vide de sa forme, l'organisme entier ayant disparu.
Le paléontologue Pierre Guériau s'est donné pour mission de comprendre le phénomène de préservation des insectes dans les résines anciennes. C'est un phénomène inégal : parfois certains organes sont préservés, parfois uniquement la cuticule, parfois... rien. Son axe de recherche : la modélisation, à partir d'échantillons « modernes ». Ces échantillons sont composés de drosophiles, des mouches parfaitement connues et qui servent justement couramment de modèles, enveloppées de résines, naturelles ou de synthèse.
Les rayons X de la ligne de lumière PUMA du synchrotron SOLEIL ont permis à Pierre Guériau, en 2022, de réaliser des images de microtomographie de ces mouches figées mesurant quelques millimètres. Ce sont des reconstitutions en trois dimensions, à haute résolution, obtenues grâce à l'équivalent de 7500 radiographies de chaque échantillon qui pivote sur lui-même. Ceci augmenté d'une analyse mathématique qui permet de reconstituer les sections, les coupes transversales du petit animal.
Chaque insecte est placé dans des conditions différentes, de mise en résine et d'exposition à des cycles de température. Car ces variations de chaleur, de 150 à 250° C, à différentes vitesses, constituent l'un des seuls moyens disponibles pour simuler le parcours d'un insecte à travers les âges et les bouleversements géologiques.
Les paléontologues ont bien conscience que ce procédé est imparfait. C'est pourquoi Pierre Guériau s'attache à l'affiner, le perfectionner, minutieusement. Telle résine, avec tel parcours en température, produit un certain type d'effets : des organes se trouvent plus ou moins bien conservés.
Pour évaluer ces niveaux de conservation, il adopte une approche originale. Il « entre dans le pixel » de ses images de microtomographie, des images noir et blanc, de façon à en analyser précisément la densité de gris. « Nous avons présenté nos résultats lors de conférences, et la communauté des chercheurs travaillant sur l'ambre était enthousiaste et très curieuse. Personne n'avait encore jamais observé qu'un changement de température modifie la densité de l'œil de la mouche ».
C'est la méthodologie employée pour caractériser les fossiles qui est en jeu. Et cette densité variable observée dans les images, d'où provient-elle ? Est-elle due à une matière plus comprimée, ou bien à un changement chimique de l'organe lui-même ?
Cette question ouvre la seconde voie de ces recherches. Pour « attaquer » la matière organique, rien de mieux que l'infrarouge, qui interagit très bien avec les tissus. C'est donc la spectroscopie infrarouge qui permet à Pierre de séparer différents cas, où parfois la matière est comprimée, parfois elle est modifiée chimiquement. Encore une fois dans ce travail, c'est la méthodologie elle-même qui se trouve précisée et clarifiée.
Alors qu'une première publication est en gestation, basée sur les images réalisées sur PUMA, Pierre Guériau n'exclut pas à l'avenir de poursuivre son investigation en infrarouge avec l'outil synchrotron, et notamment la ligne SMIS, qui serait particulièrement adaptée. « La vie trouve toujours son chemin – et le paléontologue passionné aussi », conclut-il avec un sourire, en paraphrasant Jurassic Park.