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Une voie rapide pour les processus ultra-rapides : contrôle de la dissociation moléculaire à l'échelle de l'attoseconde

En choisissant soigneusement l'énergie de photon afin d’exciter l'électron de cœur 1s de la molécule HCl vers l'orbitale dissociative σ*, des scientifiques français (UPMC/CNRS et SOLEIL), allemands (Université de Berlin) et brésiliens (UFABC, Sao Paulo) ont réussi à contrôler la vitesse des noyaux et stimuler ou inhiber partiellement la dissociation de la liaison H-Cl. Ils ont démontré pour la première fois la manipulation de la fragmentation moléculaire dans le domaine des rayons X durs à une échelle temporelle inférieure à la femtoseconde. Ces résultats, obtenus sur la ligne GALAXIES, sont publiés dans Physical Review Letters.

En utilisant des rayons X d'environ 3 keV, un électron Cl 1s de la molécule HCl peut passer vers l'orbitale de valence inoccupée nommée σ*. Cette orbitale est antiliante, ce qui signifie que tout électron qu'elle contient affaiblit une liaison chimique et favorise une dissociation moléculaire en éloignant les atomes. La lacune profonde d'électron de cœur Cl 1s est hautement instable et rapidement remplie par un autre électron résidant dans l'une des couches électroniques moins profondes de la molécule HCl. Cette lacune d'électron de cœur moins profonde est également instable et doit être remplie rapidement. Ainsi, une cascade d'électrons est déclenchée à travers différents niveaux électroniques jusqu'à ce qu'aucune lacune d'électron de cœur ne subsiste dans la molécule. Plus la lacune de cœur initiale est profonde, plus nombreux seront les niveaux électroniques parcourus par les cascades ainsi que les états instables intermédiaires créés avec différentes charges et même plusieurs lacunes de cœur. La chaîne la plus probable du processus de désexcitation électronique Cl 1s est constituée de trois étapes et dure environ 6 à 20 fs (1 fs = 10-15 s) dans HCl. En même temps, la liaison H—Cl s'allonge de plus en plus vite jusqu'à être complètement brisée, ce qui peut se produire avant même la fin de la cascade de désexcitation électronique. Ainsi, les dernières étapes du processus de cascade se produisent partiellement dans les atomes Cl déjà dissociés qui ne sont plus liés aux hydrogènes et ne ressentent même plus leur présence. Cependant, cette étude démontre que ces atomes Cl libres formés par la désexcitation turbulente des lacunes profondes d'électron de cœur Cl 1s portent la mémoire des toutes premières centaines d'attosecondes (100 as = 0,1 fs) du début de leur formation.     

Contrôle de la dynamique nucléaire ultrarapide  

En choisissant soigneusement l'énergie de photon pour l'excitation, il est possible de contrôler la vitesse des noyaux et stimuler ou inhiber partiellement la dissociation de la liaison H-Cl. En particulier, le maximum de la transition 1s→σ* de Cl nécessite une énergie de 2,824 keV. Des écarts de seulement 2 eV par rapport à cette énergie ont cependant des effets drastiques sur la dynamique nucléaire. Ceci est dû au fait que différentes énergies de photon d'excitation promeuvent le système moléculaire HCl vers différentes parties du potentiel d'état à cœur excité. Si l’on compare le potentiel d'état dissociatif de cœur excité à une route en pente, le choix de l'énergie d'excitation revient à choisir un point de départ pour la molécule sur cette route descendante. Des énergies légèrement plus élevées placeraient la molécule de HCl plus haut sur la colline, et des énergies plus faibles la placeraient plus bas. Une colline typique ayant une forme de cloche, la partie haute de la pente est plus inclinée que sa partie basse où elle s'aplanit de plus en plus jusqu'à devenir horizontale. Ainsi, le fait de placer le système plus haut sur la pente lui confère une plus grande accélération sur les parties plus inclinées de la pente, ce qui lui permet d'atteindre des vitesses plus élevées au bout de la même durée.

Par exemple, une énergie de photon plus faible (2,822 keV) donne une vitesse de 1,6 km/s à l'atome H au bout de 300 attosecondes (as), c'est-à-dire 0,3 fs, lorsqu'une lacune de cœur 1s est remplie ; et de 16,2 km/s lorsque la 1e lacune de cœur 2p est remplie au bout de 4 fs. Par comparaison, une énergie de photon supérieure de 2 eV (2,826 keV) par rapport au maximum de la transition Cl 1s→σ* résulte en des vitesses de 2,5 km/s et 20,5 km/s au bout de ces mêmes durées 0,3 fs et 4 fs, ce qui correspond à des vitesses respectivement 50 % et 30 % plus rapides qu'avec le décalage en énergie négatif !

Conclusions

De manière imagée, cette étude montre qu'avec une énergie plus élevée, le système prend très probablement la file rapide. Au contraire, si l'énergie est en deçà du niveau optimal, le système adopte préférentiellement une vitesse plus lente. Le choix d'une file rapide augmente la probabilité de fragmentation, tandis qu'une cadence lente augmente les chances de survie du système dans son ensemble. Le contrôle a cependant une portée limitée. Le fait de disposer d'une voie à haute ou basse énergie rendrait plus difficile le choix de cette route descendante étroite par le système : avec une énergie largement insuffisante, il ne pourrait pas prendre la route, tandis qu'avec une énergie sensiblement excessive, le système atteindrait une autre destination sur une autre route (c'est-à-dire que la molécule s'ioniserait ou qu'une autre de ses transitions résonantes serait excitée).

Ce travail peut être un début prometteur pour d'autres études de photo-fragmentation contrôlée avec des rayons X durs.

Figure 1 : Schéma décrivant l'effet du décalage en énergie d'excitation sur la dynamique du paquet d'onde pendant les deux premières étapes du chemin de cascade de désexcitation Auger KLL. Le paquet d'onde correspondant au décalage positif (vers le bleu) dépasse le paquet d'onde correspondant au décalage négatif (vers le rouge) et atteint plus vite la distance de liaison de 2Re, où la molécule peut être considérée comme dissociée, malgré la distribution spatiale initiale de ce premier paquet à des distances de liaison H-Cl plus faibles.

 

Figure 2 : Métaphore illustrée représentant la dynamique des paquets d'onde par une descente de véhicules le long d’une pente.