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Suivre le trajet des électrons dans un matériau bidimensionnel

Les dispositifs optoélectroniques, LED, lasers ou caméras, jouent un rôle central dans notre quotidien. Ils reposent sur le contrôle de la lumière et de son interaction avec la matière, généralement modulé par un mécanisme simple : une polarisation électrique. Il est donc essentiel de comprendre comment cette polarisation affecte un matériau donné pour optimiser ses performances. Bien que les premiers transistors à base de matériaux bidimensionnels, comme les dichalcogénures de métaux de transition (TMDC), soient apparus en 2011, il manquait jusqu’à présent un outil pertinent pour sonder localement les champs électriques. En collaboration avec la ligne de lumière ANTARES, une équipe de l’INSP (Paris) a cartographié le champ électrique dans ces matériaux en fonctionnement, à l’échelle nanométrique, ouvrant la voie à leur optimisation rationnelle.

L’étude des matériaux bidimensionnels, comme les TMDC, est devenue cruciale pour le développement de dispositifs optoélectroniques avancés. Lorsqu’ils sont réduits à une monocouche, ces matériaux présentent des propriétés électroniques remarquables, notamment une grande mobilité de leurs électrons ainsi que des bandes interdites* de largeur modulable, ce qui en fait des candidats idéaux pour l’électronique de nouvelle génération à l’échelle nanométrique. Cependant, leur intégration dans des dispositifs modifie significativement leur structure électronique, en raison des interactions avec l’environnement diélectrique et de l’influence des champs électriques externes. Comprendre et optimiser le comportement des TMDC à cette échelle représente un véritable défi. L’impact local des champs électriques externes, comme ceux présents dans les transistors à effet de champ (FET), reste mal compris, faute de techniques de sondage locales suffisamment précises.

Le travail présenté ici décrit une méthode utilisant la microscopie par photoémission d’électrons  (SPEM) en fonctionnement (in operando). Cette méthode permet de cartographier le paysage énergétique des FETs à base de TMDC, offrant ainsi un nouvel éclairage sur l’interaction entre champs électriques et propriétés des matériaux pendant le fonctionnement du dispositif. Cette technique, disponible sur la ligne de lumière ANTARES à SOLEIL, exploite la haute résolution spatiale du faisceau X focalisé (< 1 µm) ainsi que la capacité d'amener des contacts électriques directement sur l’échantillon, permettant des mesures en fonctionnement réel.

En collaboration avec une équipe de l’IPCMS, l’équipe de l’INSP a fabriqué des transistors à trois électrodes, utilisant une couche de WSe₂ comme canal de conduction. La conception du transistor permet un contrôle indépendant de la vitesse et de la densité des porteurs de charge, via l’application de deux tensions distinctes. Cette géométrie, combinée à la technique SPEM, a permis d’étudier comment ces tensions modifient la structure électronique du semi-conducteur.

L’approche a permis une cartographie précise de la surface d’énergie potentielle modifiée par l'application de champs électriques, à une résolution sub-micrométrique. De plus, la grande résolution spatiale de la méthode permet de remonter à une cartographie vectorielle des champs électriques — à la fois hors-plan (induits par la tension de grille) et dans le plan (dus à la tension source-drain). La technique s’avère être une sonde locale sensible, apportant des informations cruciales sur la conception des dispositifs, mais aussi sur la géométrie, l’épaisseur et la morphologie des couches de matériau 2D. Tous ces paramètres influencent la distribution des champs électriques et le courant dans le canal du dispositif.

Figure 1 : a) Schéma du dispositif de microscopie par photoémission à balayage permettant d'acquérir des données sur un FET planaire à base de WSe2. b) Exemple de carte de déplacement d'énergie scalaire et de carte de champ électrique vectoriel pendant l'application d'une polarisation drain-source de -1 V.


De plus, la SPEM permet de déterminer le bras de levier entre la tension appliquée à la grille et le profil en énergie du matériau. Les chercheurs ont mis en évidence un écrantage du champ électrique vertical, avec une longueur d’atténuation de quelques nanomètres dans ces matériaux 2D. Cette atténuation limite la capacité de la grille à contrôler la densité de charges dans les couches plus épaisses, affectant ainsi les performances globales du dispositif. Ce phénomène souligne l’importance de l’épaisseur et de la géométrie du matériau dans la conception de dispositifs optimisés à base de matériaux 2D.

Ce travail fournit une mesure directe du profil de potentiel à l’intérieur d’un dispositif, là où cela n’était jusqu’ici accessible que par des mesures électriques indirectes. Il ouvre la voie à une optimisation plus rationnelle des dispositifs et à une quantification directe de l’impact des imperfections. Forts de ces résultats, les chercheurs prévoient d’élargir l’application de la SPEM in operando à une gamme plus large de matériaux 2D au-delà des TMDC, incluant notamment des hétérostructures de van der Waals complexes. Ces matériaux offrent un potentiel pour des dispositifs électroniques encore plus personnalisables et efficaces, avec une attention particulière portée aux configurations géométriques et aux interactions intercouches affectant la distribution du champ électrique et les performances. Ces recherches se poursuivront dans le cadre du projet ANR E-map, porté par les équipes de l’INSP et de la ligne ANTARES.
L'article décrivant ces résultats a fait la couverture du numéro de mars 2025 de la revue ACS Nano (figure 2).

Figure 2 : couverture du numéro de mars 2025 de la revue ACS Nano.

*bande interdite : correspond à l’énergie qu’un électron du matériau doit acquérir pour devenir libre de circuler – dans le cas d’un semi-conducteur, c’est l’énergie à lui fournir pour qu’il passe de l’état isolant à l’état conducteur. Cette énergie peut être fournie, entre autre, par la lumière.