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Spins qui roulent n’amassent pas mousse !

Dans la course actuelle à la conception de dispositifs de stockage de l’information rapides, denses et peu énergivores, la spintronique (électronique qui exploite la propriété de spin des électrons) est à l’affut de « bits » toujours plus petits, se déplaçant rapidement au sein de leur support, facilement manipulables et stables. Récemment, l’intérêt des scientifiques s’est porté sur des textures magnétiques de taille ultra-réduite dans des matériaux antiferromagnétiques de synthèse (SAF). Leurs atouts : les SAFs sont résistants au champ magnétique externe (stables) et la vitesse de déplacement des textures magnétiques y est élevée. Mais étudier ces candidats prometteurs est complexe si l’on se limite aux techniques d’analyse standard, du fait de l'aimantation nette nulle des multicouches SAF.

L’utilisation de la technique de dichroïsme circulaire en diffusion magnétique résonnante des rayons X (XRMS) mise en œuvre sur la ligne SEXTANTS a permis d’avoir accès à plusieurs paramètres cruciaux de ces matériaux.

La promesse d'un support de stockage de données à haute densité et résistant aux champs électriques et magnétiques a éveillé l'intérêt des scientifiques pour les SAF. Le couplage antiferromagnétique de ces matériaux est obtenu par l’empilement de deux couches ferromagnétiques prenant en sandwich une couche métallique non magnétique, Pt|Ru.

Des chercheurs de l'Université Mixte de Physique CNRS-Thales, de l'Université Paris-Saclay et de la Pontifica Universidad Católica de Valparaíso (Chili), ont optimisé la composition, l'ordre d'empilement et l'épaisseur des couches de telle sorte qu’une texture magnétique en spirale de spin a pu être stabilisée à température ambiante, comme le montre la figure 1. La maximisation de l'interaction dite "de Dzyaloshinskii-Moriya" (DMI) est cruciale pour obtenir une texture magnétique chirale très petite. Combinée à l'annulation du champ dipolaire, propriété intrinsèque des échantillons SAF, cela ouvre la voie à la stabilisation de skyrmions (tourbillons magnétiques nanoscopiques, potentiels supports de l’information) de dizaine de nm de diamètre. Cependant, l'étude d'une telle structure dans les SAF avec les techniques de laboratoire standard est extrêmement difficile en raison du moment magnétique net nul dans l'échantillon.

Récemment, il a été montré (https://www.synchrotron-soleil.fr/fr/actualites/etre-ou-ne-pas-etre-chiral-telle-est-la-question) que le dichroïsme circulaire XRMS est une technique puissante pour accéder directement à la chiralité effective dans les systèmes ferromagnétiques (FM) en utilisant la somme et la différence des images prises avec des faisceaux de photons polarisés circulairement gauche (CL) et droite (CR) à des énergies de photons correspondant à des seuils de transition spécifiques (ici le seuil L du Fe). Le travail issu de cette collaboration scientifique montre qu’une telle approche est également valable pour les échantillons SAF - le dichroïsme est mesuré à la position dans l'espace réciproque correspondant à la périodicité antiferromagnétique.

La même équipe a par ailleurs développé une nouvelle approche qui permet d’obtenir une information quantitative sur la texture magnétique moyenne (spirale de spin) de l’échantillon étudié. Les chercheurs ont montré que la période de la spirale de spin est indépendante de la température.

Dans une perspective plus large, la diffusion magnétique résonante de rayons X polarisés circulairement apparaît comme un outil unique pour étudier la texture magnétique chirale dans les matériaux SAF. Il ouvre la voie à des études résolues en temps de la texture magnétique dans des antiferromagnétiques ou des échantillons SAF, comme cela a été démontré récemment dans les multicouches FM à l'aide d'installations laser à électrons libres ou de sources X générées par laser.

Figure 1 : Résultat d'une simulation d'un SAF constitué de deux couches ferromagnétiques couplées antiferromagnétiquement, présentant une spirale de spin, vue de côté dans le plan. Les directions dans le plan et hors du plan ne sont pas à l'échelle, © Legrand et al. Nat. Mater. 19, 34-42 (2020).

 

Figure 2 : Etude CD-XRMS d'un film constitué de 10 répétitions de la tricouche CoFeB/Ru/Pt à 300K utilisant des photons de 707 eV d’énergie (seuil L3 du Fe). (a) Courbe de réflectivité des rayons X utilisant la somme (CL+CR) des deux polarisations circulaires. Les flèches verticales rouges et orange pointent vers la position des premier et deuxièmes pics de Bragg. Les flèches vertes et bleues correspondent aux demi-pics de Bragg chimiques. (b) Les images de la somme (CL+CR) corrigées de la projection géométrique due à l'angle d'incidence des photons. Le signal de diffusion magnétique est maximal aux pics de Bragg demi-entiers et disparaît à la périodicité chimique. (c) Les images différence correspondantes (CL-CR) également corrigées géométriquement. Le signal magnétique s'éteint aux pics de Bragg et est maximal aux pics de Bragg demi-entiers.