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Secoué mais pas mélangé : un roman d'espionnage au niveau atomique

Le xénon est un élément fascinant mais rare. Pour les chercheurs en physique atomique, il représente une corne d'abondance : sa structure électronique offre un grand nombre de transitions avec des effets de corrélation électronique complexes à étudier (l'atome de xénon possède 54 électrons), et il nécessite une modélisation précise des effets relativistes. Étant un gaz rare, il fait cavalier seul : dans des conditions normales, il existe sous forme d'atomes isolés en phase gazeuse, sans interaction entre eux. À des températures suffisamment faibles, il est néanmoins possible de regrouper un paquet d'atomes de xénon, pour former un agrégat.

Dans une étude récente menée sur la ligne PLEIADES, des chercheurs ont utilisé des agents extrêmement petits, des électrons, pour étudier la structure de petits agrégats de xénon. L'idée est de « secouer » les agrégats avec des rayons X mous, ce qui déclenche un processus qui à la fois ionise et excite un atome de xénon au sein de l’agrégat. L'électron excité issu de l’ionisation sert d'espion : il peut pénétrer dans le « périmètre » des atomes de Xe environnants (chevauchement des fonctions d’onde respectives de l’électron et des atomes de Xe) et il se fond dans le paysage par un effet nommé « interaction d'échange ». Les électrons peuvent uniquement être excités vers des orbitales spécifiques, possédant des propriétés régies par les lois de la mécanique quantique, telles qu'une certaine distribution radiale et un certain moment angulaire (des positions privilégiées pour exister autour de l'atome). En raison de ces propriétés, les électrons excités vers différentes orbitales perçoivent différemment les atomes environnants. Par ailleurs, dans un petit agrégat tous les atomes de Xe ne sont pas équivalents : certains atomes sont à la surface de l'agrégat et ont moins d'atomes voisins que ceux qui se trouvent à l'intérieur de l'agrégat. Ainsi, les renseignements « volés » par l'électron espion dépendent aussi de la position dans l'agrégat à laquelle se trouve l'atome excité d’où est issu cet électron.

Figure 1. À l'aide du rayonnement X mou de la ligne de lumière PLEIADES, les chercheurs ont « secoué » l'agrégat de Xe jusqu'à un état où l'un des atomes de l'agrégat est à la fois ionisé et excité. Dans cette illustration, l'électron excité est représenté par une sphère bleue avec un chapeau et des lunettes observant son environnement à l’intérieur de la densité électronique, qui est schématisée par une zone ombrée autour de l'ion. La charge positive de l'atome ionisé-excité attire la densité électronique des atomes environnants, ce qui cause un effet d'écrantage de polarisation et conduit à un déplacement chimique des énergies cinétiques des photoélectrons mesurés. En outre, l'interaction entre l'électron excité et son environnement affecte les énergies cinétiques mesurées des photoélectrons, par l'énergie de l'interaction d'échange. Ainsi, l'analyse détaillée des énergies cinétiques des photoélectrons a permis aux chercheurs d'obtenir des informations sur la structure de petits agrégats de xénon.

Les informations recueillies par les différents types d'espions (électrons excités vers des orbitales de type s, p, ou d) sont enregistrées sous forme de spectre de photoélectrons : l'énergie cinétique (vitesse) de l'électron ionisé dépend de l'état final de l'agrégat entier. En analysant ces énergies cinétiques, les chercheurs ont été en mesure de déduire que les petits agrégats de xénon avaient très probablement une structure icosahédrique. Ils ont observé des signaux provenant de quatre emplacements différents dans l'agrégat : soit d’atomes complètement entourés par d'autres atomes (dans le volume de l’agrégat), soit d’atomes localisés à trois positions différentes à la surface de l'agrégat, et possédant un nombre de voisins différent.

Figure 2. Portion du spectre de photoélectrons mesuré. Le code couleur indique les structures provenant des transitions sur différents sites de l'agrégat. Certains des atomes de xénon restent non condensés pendant le processus d'agrégation, ce qui est observé dans les mesures sous forme de transitions purement atomiques (pics rouges). Différents motifs de remplissage présentent différents états finaux (électrons excités vers différentes orbitales). Le spectre est présenté sur une l'échelle d'énergie de liaison (BE), qui est l'échelle d'énergie couramment utilisée en spectroscopie électronique. Les énergies de liaison sont calculées à partir des énergies cinétiques mesurées (KE) grâce à la formule d'Einstein de l’effet photoélectrique BE = hν – KE, où hν est l'énergie des photons utilisés pour irradier l'échantillon. Pour mieux montrer la déconvolution des formes spectrales en différentes contributions des transitions atomiques et des agrégats, le fond est soustrait artificiellement pour cette illustration. Nous recommandons au lecteur de consulter l'article original pour une description plus précise.

Étape suivante : En secouant, attention aux éclaboussures !

Dans cette étude, il était supposé que le processus d'ionisation-excitation secouait doucement l'agrégat et que les électrons enregistrés représentaient la géométrie de l'agrégat dans  son état fondamental.  Toutefois, il est connu que ce type d'états excités ne vit pas longtemps : dans certains cas, l'électron espion revient à son camp de base en quelques femtosecondes (10-15 s). Pendant que le système excité se désexcite vers l'état ionique fondamental, de l'énergie est libérée. La présence d'un excès d'énergie dans l'agrégat peut provoquer un deuxième processus d'ionisation. Ce qui est remarquable est que cette « ionisation supplémentaire » peut uniquement se produire si l'atome de xénon est inclus dans un agrégat ; ce processus est impossible avec un atome isolé. Ainsi, il peut notamment se produire que, soudainement, deux atomes de xénon ionisés présents dans un agrégat commencent à se repousser, ce qui provoque la destruction de l'agrégat. Tout récemment (juin 2013), les chercheurs ont continué leurs recherches sur les agrégats en analysant, en plus des électrons, les ions restants suite à la fragmentation de l'agrégat. Les ions résultants donnent des informations supplémentaires sur les processus fondamentaux ayant lieu après les secousses induites par les rayons X mous, ainsi que sur le rôle des autres atomes dans ces systèmes faiblement liés.