Les surfaces cristallines présentent souvent des reconstructions1, supposées n’affecter que quelques couches sous la surface. Une étude collaborative (laboratoire Matériaux et Phénomènes Quantiques à Paris, Institut P’ à Poitiers, et ligne de lumière SixS) a analysé 14 000 données de diffraction sur une surface d’or reconstruite. Leur résultat principal est que les déformations induites s’étendent profondément dans le volume, bien au-delà des prévisions. Cette découverte devrait révolutionner le calcul des propriétés des surfaces.
Bien comprendre la structure de la surface des cristaux est essentiel pour de nombreuses applications. En effet, la modélisation précise d’une surface permet de prédire ses propriétés de croissance, de catalyse, optique, électronique ou magnétique. Jusqu’à présent, la communauté scientifique considérait que quelques couches atomiques sous une surface donnée étaient suffisantes pour bien prédire sa structure et son énergie, même dans le cas d’une reconstruction de surface, c’est à dire avec un motif et une periodicité atomique différents de ceux du volume du matériau.
Un exemple très connu de reconstruction est celle de la surface (111) de l’or, dite “en chevrons”, largement utilisée par les scientifiques mais par ailleurs très complexe. Pour simplifier la description de cette reconstruction, des chercheurs de l’Institut P’ et du laboratoire Matériaux et Phénomènes Quantiques ont commencé par étudier une surface d’or dite ‘à marches atomiques’, la surface (677), pour laquelle le motif de reconstruction est plus simple.
La diffraction de rayons X en incidence rasante sous environnement ultra-vide proposée par la ligne SixS du synchrotron SOLEIL a permis de collecter une quantité exceptionnelle de données de très bonne qualité (cf. Figure 1 pour un cliché de diffraction de la surface Au(677) dit carte dans le plan).

Figure 1 : taches de diffraction de la surface d’or reconstruite. Les petites taches autour des taches principales correspondent au signal de la reconstruction.
La structure d’une surface, incluant les déplacements des atomes sous la surface, peut se déduire de l’analyse de l’intensité des taches de diffraction, et plus spécifiquement de la variation d’intensité le long des tiges de troncature ou des tiges fractionnaires2 (cf. Figure 2 pour une tige fractionnaire typique).

Figure 2 : Les points noirs représentent l’intensité d’une des taches de diffraction de la figure 1 en fonction de la composante hors plan du vecteur de diffusion. Cette tige dite fractionnaire2 peut être modélisée par la courbe en rouge pour mettre en évidence les déplacements atomiques induits profondément en volume par la reconstruction.
Durant plus de cinq jours sur la ligne SixS à SOLEIL, les chercheurs ont mesuré jours et nuits plus de 14000 taches de diffraction non équivalentes, réunies en 64 tiges de troncatures et 160 tiges fractionnaires. L’analyse de l’intensité intégrée de ces taches, qui a pris plusieurs mois avec une aide importante de l’équipe de SIXS aux scientifiques utilisateurs de la ligne, a permis d’extraire un résultat spectaculaire : les tiges fractionnaires montrent des variations d’intensité très rapide (cf. Figure 2). Une interprétation qualitative directe de ce phénomène est l’existence de déplacements atomiques profondément en volume, en l’occurence ici sur au moins une vingtaine de couches atomiques. L’analyse quantitative a demandé une modélisation atomique de la surface et son volume, ce qui a été réalisé à l’Institut P’, à Poitiers. Le calcul de diffraction des configurations modélisées et sa comparaison avec les données expérimentales (cf. Figure 2) ont permis d’obtenir une vision très précise des champs de déplacements induits par la surface en volume. Sous la reconstruction de l’or, une vue en coupe permet notamment d’observer un champ de déplacement profond avec une structure en tourbillon (cf. Figure 3). La prise en compte de ces déplacements permet de mieux calculer l’énergie de surface et ainsi mieux comprendre les phénomènes de reconstruction de surface.

Figure 3 : Vue en coupe montrant le champ de déplacement des atomes sous la reconstruction de surface par rapport à un volume non déformé. La surface est la ligne noire en haut de l’image. Les flèches montrent la direction et l’intensité du déplacement des atomes. La couleur montre l’intensité du déplacement suivant z, positif (rouge) ou négatif (bleu).
Ce résultat mérite maintenant d’être confirmé et généralisé sur d’autres surfaces. Notamment, les chercheurs souhaitent s’attaquer au cas plus complexe (expérimentalement et théoriquement) de la reconstruction en chevrons de la surface Au(111), utilisée quotidiennement par de nombreux scientifiques dans le monde. Ensuite, d’autres reconstructions iconiques pourraient être revisitées en étudiant les champs de déplacement qu’elles induisent.
Cette étude va certainement susciter de nouveaux travaux théoriques sur la reconstruction de l’or et plus généralement les reconstructions de surface. Les progrès notamment en intelligence artificielle permettent de mieux calculer aujourd’hui les potentiels interatomiques utilisés dans les simulations atomiques des surfaces. La prise en compte d’au moins quelques dizaines de couches de volume va devenir indispensable pour calculer proprement les propriétés des surfaces à la suite de cette découverte.
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1 – Reconstruction : terme employé lorsque la structure et les propriétés électroniques des atomes de surface d’un matériau diffèrent de la structure et des propriétés des atomes du volume (« bulk structure ») de ce matériau.
2 - Quand on étudie un cristal parfait par diffraction des rayons X, on obtient des points (points de diffraction, correspondant aux pics de Bragg) à des positions discrètes dans l’espace réciproque ; ils proviennent de la diffraction des rayons X sur les différents plans atomiques composant le cristal, et présentent une périodicité reflétant celle des atomes du cristal.
Mais si le cristal n’est pas infini, s’il s’arrête brutalement à une surface -on dit qu’il est “tronqué” - la périodicité est rompue dans la direction perpendiculaire à la surface du cristal. Cette rupture modifie la diffraction. Dans l’espace réciproque, au lieu d’obtenir un point isolé, on obtient une ligne d’intensité continue qui relie les points de Bragg : on l’appelle « tige de troncature ». Ces tiges donnent une information sur la structure de la surface et des quelques premières couches atomiques du cristal. En mesurant l’intensité le long de ces tiges, on a des informations sur la géométrie atomique de la surface
Quand la surface n’est pas simplement “tronquée”, mais reconstruite, avec une périodicité différente du cristal sous-jacent, de nouveaux motifs périodiques apparaissent en surface. Ils donnent de nouveaux points de diffraction, situés à des positions fractionnaires par rapport à ceux provenant du volume du cristal. Dans l‘espace réciproque, ces points s’alignent aussi en tiges continues : les tiges dites « fractionnaires ».