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Premières détections de NHD et de ND2 dans l'espace

Il y a une dizaine d'années, de nombreuses observations astronomiques ont été réalisées à l’aide du télescope spatial Herschel (mission de l'ESA/NASA). Certaines de ces observations ont été obtenues dans le cadre du projet CHESS (Chemical Herschel Surveys of Star Forming Regions) du Professeur Ceccarelli. Ces dernières ont permis de collecter les signaux moléculaires, c'est-à-dire les « spectres », enregistrés dans la direction d’une source appelée IRAS 16293 sur une large gamme de fréquences. Après leur analyse pour l’étude d’origine, les données ont été archivées. Tout le monde peut donc y accéder et continuer à les analyser.

Aujourd'hui, dix ans plus tard, des chercheurs de l'université de Bologne, de l’Institut Max-Planck de physique extraterrestre et de la ligne de lumière AILES du Synchrotron SOLEIL ont mesuré de nouveaux spectres de NHD et de ND2 en laboratoire ; ils ont pu revenir sur les anciennes données observationnelles et ainsi identifier ces molécules dans l'espace pour la première fois !

Les observations initiales ne visaient pas à détecter NHD et ND2 – mais cela n'avait pas d'importance – car les molécules étaient déjà là, attendant simplement les travaux de laboratoire une décennie plus tard. La détection de ces espèces nous offre à présent un aperçu supplémentaire et important de la façon dont la chimie du deutérium (un isotope plus lourd de l'hydrogène) fonctionne dans le milieu interstellaire et influence l'évolution moléculaire dans les régions de formation des étoiles et des planètes.

La chimie du milieu interstellaire est principalement connue grâce à l'observation de l'émission moléculaire sous forme de photons, correspondant à l'énergie perdue par les molécules lors de leur rotation en phase gazeuse. Ces signaux, ou spectres, sont collectés par des radiotélescopes fonctionnant à des longueurs d'onde millimétriques/sub-millimétriques. Cependant, les molécules ne peuvent être identifiées dans l'espace que si leurs spectres ont été préalablement étudiés (et interprétés) en laboratoire. C'est pourquoi une équipe de scientifiques de trois pays différents a combiné des mesures extrêmement complémentaires pour enregistrer et analyser les spectres des espèces radicalaires NHD et ND2. Ces deux espèces sont des formes isotopiques du radical amidogène (NH2), un intermédiaire dans le mécanisme de formation de l'ammoniac interstellaire (NH3). Si le spectre de laboratoire de NH2 a déjà été étudié et que l'existence du radical amidogène était connue dans le milieu interstellaire, les informations disponibles pour NHD et ND2 étaient plutôt rares. L’acquisition des spectres a commencé à Bologne et s'est poursuivi à Garching, mais l'étroite couverture fréquentielle des instruments disponibles n'a pas permis une interprétation complète des caractéristiques observées. En effet, les spectres de ces petites molécules sont répartis sur une large gamme de fréquences. Ce problème a été résolu grâce à l'utilisation du rayonnement infrarouge lointain brillant extrait par la ligne de lumière AILES du Synchrotron SOLEIL. La puissante source de rayonnement a été utilisée dans un interféromètre à transformation de Fourier pour étudier le spectre de rotation de NHD et de ND2 dans une gamme de fréquences plus élevée ; les données obtenues à SOLEIL ont ensuite été combinées avec celles des autres laboratoires dans une analyse conjointe. Grâce à ces travaux de laboratoire et leur comparaison avec les données observationnelles, les empreintes moléculaires de NHD et ND2 ont pu être identifiées pour la première fois dans la proto-étoile de faible masse IRAS 16293 (voir figure), l'un des objets astronomiques observés par le télescope Herschel.

Représentation graphique des étapes qui ont conduit à l'identification de NHD et ND2 interstellaires : (i) d'abord, les spectres de laboratoire de ces espèces ont été étudiés à SOLEIL et dans deux autres instituts, puis (ii) les données des archives de Herschel ont été utilisées pour identifier NHD et ND2 en direction de la proto-étoile de faible masse IRAS 16293.

Il convient également de souligner que malgré la faible abondance cosmique du deutérium (environ 0,0015 % de l'abondance de l'hydrogène), les abondances observées de NHD et de ND2 sont assez élevées, entre 10 et 80 % de celle de NH2. En effet, on trouve des molécules deutérées dans le milieu interstellaire en très grandes quantités : cela est dû aux « processus de fractionnement du deutérium », c'est-à-dire l'enrichissement en deutérium d'une molécule donnée, qui peut se produire efficacement dans certaines conditions physiques, par exemple une faible température du gaz (5–20 K). Ces conditions sont souvent présentes dans les étoiles très jeunes (proto-étoiles), ce qui en fait un laboratoire idéal pour l'étude des espèces deutérées. Cependant, un tel enrichissement peut difficilement être expliqué par les modèles astrochimiques et les observations futures impliquant ces espèces pourraient fournir plus d'informations sur le mécanisme de formation et de deutération de l'ammoniac dans le milieu interstellaire.

Mattia Melosso remercie Brett A. McGuire pour son tweet inspirant et Ningjing Jiang pour sa magnifique figure.