L’intégration du hardware nécessaire à l’information quantique dans des architectures robustes et extensibles sera une des clefs de la construction d’ordinateurs quantiques, un des piliers du récent programme Flagship Technologies Quantiques de la Communauté Européenne. Dans ce cadre, des chercheurs des Instituts de Science des Matériaux et de Nanosciences d’Aragon en Espagne (ICMA et INA, CSIC et Université de Zaragoza) et de SOLEIL et de l’Institut des NanoSciences de Paris (Sorbonne Université), avec l’aide de la ligne de lumière SIRIUS, ont développé les moyens d’introduire des bits quantiques basés sur le spin de molécules magnétiques directement sur la surface de dispositifs.
Certaines molécules magnétiques possédant un état de spin (pseudo-)1/2 représentent un des types de hardware pouvant incarner le bit d’information quantique, ou qubit. En effet, les deux orientations du spin électronique forment un système quantique à deux niveaux qui permet de codifier les états d’un qubit. Cette approche moléculaire vers l’élaboration d’un ordinateur quantique a l’avantage de grandement faciliter l’extension du nombre de qubits. Cependant, la technologie hybride proposée à ce jour pour construire un processeur évolutif sur la base de ces qubits moléculaires requiert leur positionnement à certains sites de dispositifs solides, tout en maintenant un contrôle de leur orientation. Les auteurs de ce travail proposent que ce contrôle de l’orientation des qubits moléculaires une fois déposés sur une surface peut être induit par la périodicité d’un réseau bidimensionnel au sein duquel les qubits moléculaires seraient des nœuds.
Pour démontrer la validité de leur hypothèse, les chercheurs ont utilisé une porphyrine de Cu(II) possédant quatre groupes coordinant de type carboxylique, [CuTCPP], et ont formé le réseau métal-organique (ou MOF) bidimensionnel voulu, par réaction avec des ions diamagnétiques Zn(II) (Figure 1, gauche). La cohérence quantique du qubit [CuTCPP] a été déterminée dans sa forme isolée comme au sein du MOF 2D. Les valeurs similaires de l’ordre de la microseconde indiquent que la cohérence quantique du qubit moléculaire est maintenue même une fois le qubit inséré dans un réseau 2D. (Figure 1, droite).
Figure 1 :
Gauche: Structures de la porphyrine de Cu(II) [CuTCPP] utilisée comme nœud et du réseau métal-organique 2D formé par coordination d’ions Zn(II) par les groupes carboxyliques de la [CuTCPP].
Droite: le spin de l’ion Cu(II) offre le système quantique à deux niveaux capable de codifier l’information quantique à travers l’infinité de superpositions de ses deux états, typiquement représentées par les points de la surface d’une sphère de Bloch (haut, droite). Des temps de relaxation spin-réseau (T1) et de cohérence quantique (TM) similaires ont été déterminés pour la molécule [CuTCPP] isolée en solution congelée et pour cette même molécule au sein de son réseau MOF 2D (dilué à 1 % avec des unités [ZnTCPP], bas, droite).
La seconde partie de l’étude montre que des nanodomaines du même MOF 2D peuvent se former à l’interface air-eau d’une cuve de Langmuir, pour être ensuite transférés sur une grande variété de supports solides. Les données obtenues par diffraction X en incidence rasante sur la ligne de lumière SIRIUS à SOLEIL (Figure 2, droite) se sont révélées fondamentales pour démontrer que la même structure bidimensionnelle en forme de grille du MOF se forme in-situ à l’interface. Des mesures de spectroscopie RPE ont ensuite confirmé que l’orientation des unités [CuTCPP] au sein des nanodomaines transférés est bien homogène et parallèle à la surface du support.
Figure 2 :
Gauche: structure 2D en forme de grille des nanodomaines de MOF, similaire à celle du matériau solide.
Ces nanoplaques se forment à l’interface air-eau, soit d’une cuve de Langmuir, soit directement sur un support en Mica.
Droite: données de diffraction in-situ et image de microscopie électronique à transmission des nanoplaques de MOF formées dans la cuve de Langmuir et image de topographie de microscopie à force atomique de ces même nanoplaques formées localement sur du Mica.
Finalement, un protocole imitant le processus ayant lieu dans la cuve de Langmuir a été développé pour la formation in-situ des nanodomaines directement sur un support. Des observations topographiques (Figure 2, droite) et des analyses élémentaires locales confirment que des nanoplaques de MOF avec comme nœuds des qubits [CuTCPP] se forment bien, et ce à des localisations choisies à l’échelle microscopique.
Globalement, ce travail démontre le potentiel d’une approche basée sur des réseaux 2D au lieu de molécules isolées pour l’intégration de qubits moléculaires sur des supports solides, avec un contrôle de leur position et orientation.
Les développements futurs de cette recherche incluent le passage à l’échelle nanométrique pour ce qui est du contrôle de la position des nanodomaines de qubits. Ceci permettra leur couplage à des résonateurs supraconducteurs pour produire un processeur hybride quantique qui devrait permettre la réalisation d’algorithmes quantiques.