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L’état métallique de l’hydrogène enfin révélé

L’hydrogène, l’élément le plus abondant de l’univers, n’est constitué que d’un proton et d’un électron. Il n’est donc ni rare ni –apparemment– complexe, et pourtant il n’en finit pas de passionner les scientifiques. 

Selon l’hypothèse formulée par les physiciens Wigner et Huntington il y a plus de 80 ans, l’hydrogène pourrait exister à l’état métallique, c'est à dire un état de la matière dans lequel les électrons peuvent circuler librement. Depuis, cette hypothèse suscite l’engouement des théoriciens et des expérimentateurs, qui débattent autour de plusieurs questions : comment faire passer l’hydrogène de l’état gazeux, sous lequel nous le connaissons, vers cet état métallique ? Grâce à quels instruments les conditions de cette métallisation peuvent-elles être atteintes ? Car il s’agit de conditions extrêmes : une pression supérieure à 4 millions d’atmosphères (pour rappel : la pression au niveau de la mer est de 1 atmosphère, et au centre de la Terre elle est estimée être de l’ordre de 3,5 millions d’atmosphères). Jusqu’à ce jour, les approches théoriques et expérimentales sur la mise en évidence de cet état métallique ont montré une grande complexité de cette transition, avec plusieurs états intermédiaires. Or, des propriétés inédites et spectaculaires sont prédites pour ce métal, notamment une supraconductivité à température ambiante, mais aussi une transition vers un liquide superfluide et  une très basse température de fusion. 

Au fur et à mesure des tentatives expérimentales, de nouveaux outils ont été proposés pour repousser la limite de pression atteignable. Mais, jusqu’à aujourd'hui, les annonces d’une observation de l’hydrogène métallique ont toujours été remises en question par la communauté scientifique et n’ont jamais pu être reproduites.

Or, la technologie pour atteindre et contrôler la très haute pression nécessaire à l'observation de l'état métallique  vient d’être maîtrisée et, pour la première fois, l’existence de la transformation de l’hydrogène gazeux en métal a été mise en évidence de façon incontestable. À l’origine de cette avancée majeure, une équipe française, composée de deux chercheurs du CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives) et un chercheur du CNRS détaché au Centre de rayonnement synchrotron français, SOLEIL. Leurs résultats sont publiés dans le journal scientifique Nature.

L'équipe de chercheurs sur la ligne de lumière SMIS, auprès du dispositif expérimental qui a permis la mise en évidence de l'état métallique de l'hydrogène. De gauche à droite : Florent Occelli, Paul Loubeyre et Paul Dumas.

« Voir » l’hydrogène-métal, grâce au rayonnement infrarouge issu d’un synchrotron

Suivre et détecter la transformation métallique de l’hydrogène a été le verrou difficilement franchissable de cette expérimentation. Compte tenu de la très petite taille de l’échantillon étudié (inférieur à un cube de 5 micromètres de côté) et des pressions énormes exercées (les cellules contenant l’hydrogène peuvent supporter jusqu’à 6 millions d’atmosphères), toute sonde localisée au niveau de cet échantillon est perturbée, modifiée. 

Seule une lumière bien particulière, le rayonnement infrarouge produit par le Synchrotron SOLEIL, est capable de fournir, de manière rigoureuse, les informations recherchées. La lumière infrarouge a permis de révéler les transformations successives de l’hydrogène au cours de la montée en pression : l’hydrogène passe de l’état gazeux à l’état solide isolant, puis devient un semiconducteur, comme le silicium, et enfin métallique. 

Ces transformations sont révélées par l’absorption d’une fraction croissante de lumière infrarouge par l’échantillon d’hydrogène, au fur et à mesure de son évolution vers l’état métallique. L’absorption totale de la lumière infrarouge démontre la disparition de la barrière énergétique qui jusque-là empêchait les électrons liés aux molécules de se mouvoir librement comme dans un métal. Cette disparition, clairement identifiée à 4,2 millions d’atmosphères, est la « signature » attendue de l’état métallique, confirmée dans cette étude.

Au-delà de la pertinence du choix de la technique d’analyse, la nécessité de disposer d’une source de photons infrarouges extrêmement focalisée sur un volume minuscule a été satisfaite par les propriétés du rayonnement infrarouge produit par le Synchrotron de SOLEIL. 

De l’hydrogène métallique, pour quoi faire ?

Pouvoir transformer de l’hydrogène gazeux en métal est une découverte fondamentale majeure, susceptible d'impacter à la fois notre technologie et notre connaissance de l'Univers. D’après les calculs des théoriciens, l’hydrogène métallique serait métastable, c’est-à-dire qu’il conserverait ses propriétés de métal même sans être soumis aux conditions extrêmes nécessaires à atteindre cet état (pression supérieure à 4 millions d’atmosphères). Sachant que l’hydrogène métallique serait supraconducteur à température ambiante, cela permettrait d’obtenir un composé aux propriétés remarquables, découverte à laquelle rêvent les physiciens des solides et dont les applications pourraient être multiples ! La possibilité de stabiliser cet hydrogène métallique dans des hydrures est actuellement très étudiée.

Côté technologie, citons également l’intérêt de l’hydrogène métallique comme source d’énergie « compacte » du fait de sa densité très élevée. Des applications seraient alors envisageables pour alimenter des dispositifs électriques sur Terre, ou bien fabriquer un carburant dix fois plus concentré que ceux actuellement utilisés dans le cadre de la conquête de l’espace : de quoi raccourcir le voyage vers Mars de quelques mois, par exemple… 

D’autre part, certaines planètes comme Jupiter et Saturne, et de nombreuses planètes extrasolaires, contiendraient de grandes quantités d’hydrogène métallique. Élaborer des modèles précis de ces planètes géantes pour mieux comprendre leur composition et leurs propriétés nécessite de décrire plus précisément la transition entre l’hydrogène gazeux et l’hydrogène métallique. La mise en évidence de l’existence de cette phase métallique et la connaissance de ses propriétés devraient contribuer à modéliser la structure interne des planètes géantes.  

Cette première mise en évidence de la transformation métallique de l’hydrogène est un déclencheur et un tremplin pour révéler et exploiter toutes les propriétés extraordinaires de ce métal. La qualité des échantillons permet d’envisager toute une série d'expériences, et pour nombre d'entre elles, le rayonnement synchrotron, de l’infrarouge aux rayons X, sera un équipement clé.

Une mutualisation des compétences

Cette réussite a été rendue possible par la mutualisation des savoir-faire de trois experts. Paul Loubeyre et Florent Occelli, du CEA, ont apporté leur grande connaissance dans la fabrication et l’optimisation de cellules à hautes pressions pour atteindre les conditions extrêmes nécessaires et possèdent une réputation internationale pour leurs recherches associées à ces instruments. Paul Dumas, chercheur émérite de l'Institut de Chimie du CNRS, détaché au Synchrotron SOLEIL, est quant à lui reconnu au sein de la communauté scientifique internationale pour sa maîtrise de l’utilisation du rayonnement synchrotron dans le domaine de l’infrarouge, rayonnement grâce auquel il a été possible de mettre en évidence la métallisation de l’hydrogène.