Aller au menu principal Aller au contenu principal

La quatrième manière de dissocier

La dissociation est l'une des réactions chimiques les plus simples, par laquelle une molécule se sépare en deux fragments ou davantage (c'est-à-dire en d'autres molécules, en atomes, en ions ou en radicaux). La compréhension des mécanismes de dissociation est essentielle pour disposer d'un guide pour le monde complexe des processus biomoléculaires.

Toutefois, les voies de dissociation restent élusives dans les grands systèmes constitués de plus de trois atomes. Jusqu'à récemment, seuls deux mécanismes de dissociation étaient connus : (1) l'élongation d'une liaison jusqu'à la cassure ; (2) la dissociation par-delà une barrière énergétique à travers un état dit de transition, dans lequel les électrons sont réarrangés de manière à casser les anciennes liaisons et à en former de nouvelles. Récemment, une troisième modalité de dissociation a été découverte : (3) les réactions « itinérantes », qui ne suivent pas les mécanismes conventionnels de la théorie des états de transition. Dans ce dernier type de réactions chimiques, un atome « vagabonde » autour du fragment moléculaire jusqu'à ce qu’il trouve un autre partenaire atomique avec lequel se lier, et quitte ensuite la molécule.

Une équipe internationale agrégée autour du groupe de recherche de la ligne de lumière PLEAIDES a découvert un nouveau mécanisme de dissociation qui ne rentre dans aucune des trois catégories de réactions de dissociation décrites ci-dessus. Les scientifiques ont établi que dans certains cas, l'élongation de la liaison ne pouvait être aussi simple, ce qui était attendu. Les mouvements internes d'autres groupes atomiques légers de la molécule peuvent servir de médiateurs à la cassure de la liaison, ce qui signifie que cette dernière n'est pas cassée strictement le long de son axe. Ceci permet de produire des fragments très lourds sur des échelles de temps très réduites, beaucoup plus courtes que les durées prévisibles dans le cadre d’une dissociation à deux corps. Les chercheurs ont démontré que dans leur système moléculaire prototype, le 1-bromo-2-chloroéthane (Br-CH2-CH2-Cl, BCE), il suffirait d'une rotation du groupe léger d'atomes de carbone et d'hydrogène au milieu de la molécule (-CH2-CH2-) autour d'un atome halogène (Br/Cl) pour casser la liaison carbone-halogène (C-Cl/C-Br). En réalité, la rotation -CH2-CH2- et l'élongation de la liaison C-Cl (ou C-Br) se produisent simultanément. Cependant, en raison des masses considérablement moins importantes des atomes de carbone par rapport à l'atome halogène (Cl/Br), la rotation est très rapide et donc extrêmement importante dans le processus de dissociation total. Comme illustré dans la figure ci-dessous, qui représente la surface de potentiel de la molécule de BCE neutre, excitée par l’absorption de rayons X, la voie bleue devrait être suivie si la molécule se dissociait de la manière « conventionnelle », c'est-à-dire si l'atome d’halogène se séparait du fragment moléculaire résiduel en s'éloignant dans la direction de la liaison C-Br/C-Cl. Toutefois, il existe une pente plus rapide (rouge) depuis le sommet de cette surface si une troisième dimension (c'est-à-dire la rotation -CH2-CH2-) est prise en compte. Les chercheurs prévoient que ce nouveau mécanisme de dissociation est assez général et applicable à d'autres systèmes moléculaires complexes, et en particulier à ceux qui comportent des liaisons (-CH2-)x- légères. Ceci confirme que d'autres dimensions pourraient être importantes à prendre en compte lors de la modélisation des réactions de dissociation afin de prédire précisément la cinétique et les produits de réaction.

Surface de potentiel (en 3D) pour la molécule BCE excitée en couche interne. Une des coordonnées importantes pour la dissociation est l’élongation (lente) de la liaison, et l’autre est la rotation interne (rapide). Les flèches rouges montrent le chemin de dissociation du BCE excité en couche interne. Les flèches bleues indiquent la voie de dissociation qui serait suivie si la molécule se dissociait selon la « manière classique », strictement le long de la liaison C-Cl. Les étoiles rouges et bleues indiquent les points où la liaison C-Cl est étirée respectivement de 35 et 70%.

Mécanismes de dissociation de la molécule BCE excitée en couche interne. En bleu : voie « classique », strictement le long de la liaison C-Cl. En rouge : dissociation par rotation interne.