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Hautes pressions et températures dans les conditions des zones de subduction - Nouvelles connaissances sur l’évolution de la microstructure d’une roche multi-phasée en déformation

Les zones de subduction sont des régions de la Terre soumises à des phénomènes de cisaillement extrêmement complexes. Pour comprendre leur dynamique, il est important d’étudier, à haute pression et haute température (HP-HT), le comportement plastique et la microstructure des roches en déformation dans ces régions. Pour cela, des chercheurs de l’Université de Lille, CNRS, Sorbonne Université et de SOLEIL ont étudié des échantillons de péridotite serpentinisée par tomographie X sur la ligne PSICHE. Leurs résultats pourraient contribuer à mieux comprendre et cerner l’initiation et la dynamique de la subduction dans la lithosphère terrestre.

Ce travail, financé par l’ANR, a été présenté par Tommaso Mandolini, doctorant de l’Université de Lille, lors des Rencontres d’automne 2020 de l'American Geophysical Union (AGU), et a remporté l’un des « Prix de présentation étudiante exceptionnelle en physique des roches et minéraux ».

Deux plaques tectoniques, l’une plongeant sous l’autre, sont à l’origine des plus importantes activités sismiques et volcaniques que l’on rencontre sur la Terre. Elles transportent, recyclent et déforment les agrégats de matériaux et de minéraux (c’est-à-dire les roches) à l’intérieur de la Terre, et leur dynamique est strictement reliée à l’évolution de notre planète. Pour comprendre la dynamique des zones de subduction, il est important d’étudier le comportement plastique et la microstructure des roches en déformation dans ces régions complexes à haute pression et haute température (HP-HT). Bien que les roches soient constituées de plusieurs minéraux et qu’elles puissent être fortement hétérogènes d’un point de vue mécanique, si l’on considère un scénario simple dans lequel seules deux phases minéralogiques participent à la déformation d’une roche, une phase fragile et l’autre résistante, la première serait davantage susceptible de former un écoulement sous l’effet de la déformation. Ensuite, la déformation s’intensifiant, et selon la proportion de phase fragile dans la roche, le minéral fragile pourrait au final jouer un rôle dominant dans le comportement plastique global de l’agrégat, en absorbant la majeure partie de la déformation et en formant une microstructure de couches fragiles interconnectées (IWL - Interconnected Weak Layers).

Figure 1 :
(a)
Illustration simplifiée de la texture IWL montrant la phase fragile (blanche) qui forme des couches fragiles interconnectées au sein de la phase résistante (gris). Image modifiée d’après Handy et al. (1994).
(b) Image d’une péridotite serpentinisée naturelle montrant la serpentine qui forme un réseau bien défini de veines parmi les grains d’olivine plus résistants, et qui ressemble à la texture IWL illustrée en (a). Image de blogs.agu.org/georneys/2012.

La texture IWL (Fig. 1a) et son apparition sont très importantes pour comprendre la dynamique des zones de subduction, comme par exemple dans la lithosphère. En réalité, la formation de couches interconnectées dans le minéral fragile entraîne une localisation des contraintes dans la roche, ce qui peut conduire à de vastes zones de cisaillement qui finissent par amorcer la subduction dans la lithosphère terrestre. L’une des roches dominantes présentes dans les zones de subduction est la péridotite serpentinisée (Fig. 1b), qui est principalement constituée de minéraux d’olivine -le silicate de magnésium et fer le plus courant dans le manteau terrestre- et de serpentine, qui regroupe différents phyllosilicates hydratés de magnésium et fer. L’antigorite, variété de serpentine stable à haute pression, coexiste avec l’olivine dans la péridotite serpentinisée et est plus fragile que l’olivine sous l’effet des déformations qui se produisent dans la nature.

Grâce aux données recueillies in-situ sur la ligne PSICHE par tomographie HP-HT, l’évolution de la microstructure et le comportement des agrégats d’olivine (résistante) et d’antigorite (fragile) ont été étudiés sous déformation en torsion à des régimes de contrainte élevés. L’objectif était d’observer dans quelles conditions expérimentales et à quelle teneur en volume d’antigorite il est possible d’obtenir une texture IWL dans les échantillons lorsque ces derniers sont soumis à des déformations dans des conditions proches de celles des zones de subduction dans la lithosphère, c’est-à-dire des pressions de 4-5 GPa, (soit 50.000 fois supérieures à la pression atmosphérique) et des températures jusqu’à 600°C.

Les principaux résultats suggèrent que l’interconnectivité (ou connectivité) totale de l’antigorite fragile augmente avec la contrainte dans tous les échantillons étudiés, une interconnectivité supérieure étant obtenue avec une teneur en antigorite plus élevée (Fig. 2a). Ici, l’antigorite forme des couches fragiles interconnectées clairement visibles où la contrainte et la déformation sont localisées (Fig. 2b), comme on peut s’y attendre avec une texture IWL.

Figure 2 :
(a)
Étendue globale de l’évolution de l’interconnectivité dans l’antigorite fragile avec un angle de torsion croissant imposé pendant la déformation en torsion. Dans le cas présent, l’angle de torsion est une indication de la contrainte croissante potentiellement transférée aux échantillons. Encart montrant les échantillons, avec la teneur en antigorite (Atg) et les conditions expérimentales de pression et de température estimées. Les points d’interrogation indiquent les tendances estimées jusqu’à l’angle de torsion maximum pour deux échantillons.
(b) Rendu volumique de l’antigorite montrant l’évolution de sa morphologie avec un angle de torsion croissant dans deux scénarios (1 et 2) lorsque la déformation par cisaillement est appliquée (flèches).

Pour lier ces observations sur la microstructure au mécanisme de déformation des phases, une analyse a été effectuée au microscope électronique à l’Université de Lille en vue d’obtenir des informations sur la désorientation du réseau cristallin et la plasticité des cristaux dans l’agrégat résultant de la déformation. Il est apparu que dans l’échantillon ayant une interconnectivité plus élevée avec l’antigorite, l’olivine plus résistante présente une déformation intracristalline localisée caractéristique d’un comportement plastique local à basse température.

Figure 3 : Vue d’ensemble de la méthodologie d’observation à plusieurs échelles utilisée pour analyser et étudier les échantillons (du millimètre au nanomètre) afin de mieux comprendre la déformation des roches à plusieurs phases dans les zones de subduction.

Côté droit : en bas, représentation d’une région de cisaillement de la zone de subduction, les flèches blanches indiquant le sens de la déformation par cisaillement (image modifiée d’après Poli et Schmidt, 1998) ; en haut, rendu volumique de l’imagerie tomographique montrant la morphologie de l’antigorite dans tout l’échantillon.

Côté gauche : en haut, coupe 2D d’images tomographiques montrant la microstructure de l’antigorite déformée ; en bas, images prises au microscope électronique montrant des zones de l’échantillon à différentes échelles, du millimètre au nanomètre (en bas à gauche) ; cette dernière image prise au microscope électronique en transmission (MET) montre des microstructures de dislocation dans un cristal d’olivine.

Ces découvertes ouvrent de nouvelles perspectives sur la localisation des contraintes et le mécanisme de déformation à diverses échelles d’observation des roches à plusieurs phases représentatives des zones de subduction (Fig. 3), ce qui pourrait contribuer à mieux comprendre et cerner l’initiation et la dynamique de la subduction dans la lithosphère terrestre.

Figure 4 :Tommaso Mandolini place un échantillon dans l’entrefer du dispositif permettant d’appliquer la déformation en torsion (RoToPEc) lors des expériences Hautes pressions sur la ligne PSICHE.