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Étudier une caméra infrarouge en fonctionnement, grâce à la photoémission sur la ligne ANTARES

Les nanocristaux sont des nanoparticules semi-conductrices. En choisissant les matériaux appropriés, il est possible de concevoir des nanocristaux photosensibles à la lumière infrarouge (IR) ; ils peuvent alors être utilisés en tant que « pixels actifs » de détecteurs IR. Ces dernières années, des progrès significatifs ont été réalisés pour passer d'un pixel unique à la réalisation d’une caméra complète.

Des scientifiques de l’INSP (Sorbonne Université, CNRS), en collaboration avec la PME New Imaging Technologies, ont ainsi développé une caméra IR dont la couche active est constituée de nanocristaux de HgTe (tellure de mercure). La fabrication d’un capteur basé sur ces nanocristaux est moins coûteuse et utilise moins de matériaux toxiques que les dispositifs classiques. La ligne ANTARES a permis de mettre en évidence le paysage énergétique de la surface de ce capteur en cours de fonctionnement.

À ce jour, les capteurs infrarouges représentent un prix prohibitif (jusqu'à 100 000 euros pour une caméra) pour pouvoir être utilisés dans des applications « grand public » telles que l'assistance à la conduite de nuit. Une partie de ce problème provient du coût de fabrication des semi-conducteurs impliqués. C'est pourquoi un effort très important est nécessaire pour développer de nouveaux matériaux actifs dans l'infrarouge. Parmi les candidats, les nanoparticules colloïdales de HgTe à faible bande interdite* ont acquis une maturité considérable au cours de la dernière décennie. En choisissant soigneusement leur taille (environ 6 nm, voir figure 1a), il est possible de fabriquer des nanoparticules actives dans le proche infrarouge (figure 1b). Une équipe de l'INSP, en collaboration avec la PME New imaging Technologies, a réussi à coupler un film de ce matériau à un circuit intégré de lecture CMOS pour concevoir une caméra complète. Un exemple de l'image obtenue est montré dans la figure 1c.

Figure 1 :
a.
Image de microscopie électronique de nanocristaux de HgTe.
b. Spectres d'absorption de ces nanocristaux, montrant la capacité de ce matériau à absorber les photons dont la longueur d’onde est comprise entre 1 et 1,7 µm.
c. Image infrarouge du musée du Louvre obtenue avec la caméra constituée de nanocristaux de HgTe.

Jusqu'à présent, la conception de dispositifs basés sur de nouveaux matériaux repose sur des mesures des propriétés physiques du matériau seul, en supposant que sa structure électronique ne sera pas modifiée une fois ce matériau intégré -par exemple- dans une caméra. Une description plus détaillée devrait toutefois être basée sur des mesures in situ dans le dispositif, et éventuellement lorsque ce dispositif est en fonctionnement de façon à tenir également compte de l'effet des champs électriques appliqués. Or, la réalisation de telles mesures nécessite un outil adapté.

Ici, le microscope de photoémission d’électrons mis en œuvre sur la ligne de lumière ANTARES a été utilisé pour sonder le profil en énergie du capteur au sein du dispositif. Le faisceau de rayons X mous (longueurs d’onde de l’ordre de quelques nm) d’ANTARES a servi de sonde locale du potentiel électrique (voir le schéma de l'expérience à la figure 2a) du capteur : les rayons-X sont absorbés par le film de nanocristaux, provoquant l’émission d’électrons. L’analyseur (la demi-sphère sur la figure 2a) mesure alors la vitesse des électrons émis, vitesse dont on peut déduire la force qui liait ces électrons aux atomes composant le matériau. Les scientifiques ont utilisé la haute résolution des mesures obtenues non seulement pour sonder le potentiel mais aussi la distribution vectorielle du champ électrique (figure 2b) qui peut être assez complexe sur la surface du circuit de lecture où les polarisations sont appliquées avec une distribution en damier 2D. Accéder à de telles mesures permet ensuite de mieux comprendre l’aire active du composant ou de modéliser le transport des charges électriques sur la surface du capteur.

Figure 2 :
a.
Schéma de l'expérience menée sur la ligne ANTARES. Le faisceau de rayons X est focalisé par une lentille de Fresnel sur le capteur, dont la couche active est constituée de nanocristaux de HgTe. L’énergie des électrons émis par le capteur éclairé par les rayons X est ensuite mesurée à l'aide d'un analyseur d'électrons. La répétition de la même expérience alors que le faisceau X est balayé au-dessus de toute la surface de l'échantillon permet de cartographier le profil énergétique du dispositif.
b. Distribution du champ électrique entre les pixels, délimités par les lignes pointillées blanches. Les flèches indiquent la direction du champ électrique et leur longueur correspond à l’intensité du champ.

La méthode, assez générale, n'est pas limitée au cas de l'imageur infrarouge ; elle peut être appliquée à une gamme plus large de matériaux et de dispositifs. Les équipes de l'INSP et de la ligne ANTARES vont maintenant poursuivre cet effort dans le cadre d’un nouveau projet ANR, « E-map ».

L'article décrivant ces résultats fait la couverture du Journal ACS Applied Electronic Materials d’août 2023 (figure 3).

Figure 3 : couverture du journal "ACS applied electronic materials"

* bande interdite : correspond à l’énergie qu’un électron du matériau doit acquérir pour devenir libre de circuler – dans le cas d’un semi-conducteur, c’est l’énergie à lui fournir pour qu’il passe de l’état isolant à l’état conducteur. Cette énergie peut être fournie par la lumière : pour HgTe, par la lumière infrarouge.