Depuis la découverte du graphène, l’activité de recherche sur les matériaux bidimensionnels (2D) s’est largement développée. Les dichalcogènures de métaux de transition font partie de cette classe de matériaux 2D et sont extrêmement prometteurs pour des applications technologiques à des épaisseurs voisines de la monocouche, en optoélectronique ou pour la fabrication de transistors extrêmement petits. Un empilement de ces monocouches donne un cristal tridimensionnel (3D).
Mais comment s’effectue la transition de la structure électronique du matériau 2D, dans une monocouche, à 3D dans le cristal massif ?
C’est la question à laquelle des scientifiques du C2N (Université Paris-Saclay, Palaiseau), de SPINTEC (Université Grenoble-Alpes, CEA et CNRS, Grenoble), du New Technologies Research Centre (University of West Bohemia, Pilsen, République Tchèque) et de l’IPR (Rennes) ont cherché à répondre, en collaboration avec l’équipe de la ligne CASSIOPEE à SOLEIL.
La formule générique des dichalcogènures de métaux de transition (en anglais « transition metal dichalcogenides », TMD) est MX2, où M est un élément de transition et X, un chalcogène. Ces deux éléments forment une couche de formule MX2, où les atomes M sont pris en sandwich entre deux couches de chalcogènes, avec qui ils forment de fortes liaisons covalentes. Le cristal tridimensionnel (3D) est obtenu en empilant ces couches X-M-X, faiblement liées entre elles par des forces de van der Waals, ce qui confère à ces matériaux un fort caractère bidimensionnel (figure 1).

Figure 1 : schéma montrant l’agencement des atomes de W et Se dans une monocouche et des multicouches de TMD.
Dans les TMD massifs, à cause de l’hybridation des orbitales pointant hors de plans MX2, les électrons peuvent « sauter » d’un plan à l’autre et une dispersion de bandes peut être observée dans cette direction z normale aux plans. En d’autres mots, l’énergie des électrons dépend de kz, la composante de leur vecteur d’onde le long de cette direction. Par contre, aucune dispersion en kz n’est attendue à la limite de la monocouche puisque les électrons sont alors confinés dans les plans MX2. Comment s’effectue la transition de la structure électronique de bidimensionnelle dans une monocouche à tridimensionnelle dans le cristal massif ?
Démarche scientifique
En utilisant la photoémission résolue en angle et le rayonnement synchrotron sur la ligne CASSIOPEE de SOLEIL, les scientifiques ont précisément décrit cette transition de 2D vers 3D de la structure électronique dans des films minces épitaxiés de grande surface de WSe2. Les échantillons ont été fabriqués par Epitaxie par Jet Moléculaire (MBE : Molecular Beam Epitaxy) sur des substrats de graphène/SiC(0001). Des films de 2, 3 et 6-7 couches de WSe2 ont été étudiés. Pour chaque échantillon la dispersion en kz, correspondant à la direction Γ-A de l’espace réciproque (voir la partie (a) de la figure 2) a été mesurée.

Figure 2 : (a) Première zone de Brillouin du réseau réciproque de WSe2. (b-g) Mesures expérimentales de l’intensité des bandes à Γ le long de la direction Γ-A de l’espace réciproque pour 2 (à gauche), 3 (milieu) et 6-7 couches (à droite) couches de WSe2. Les parties (b-d) montrent les données brutes et les parties (e-g) leur dérivée seconde. Les parties (i-k) montrent les calculs correspondants effectués en utilisant le formalisme KKR et les fonctions de Green, avec un calcul additionnel pour 1 couche de WSe2 (h).
Les parties (b-d) de la figure 2 montrent les données brutes pour les trois échantillons. Pour l’échantillon de 2 couches, les deux bandes les plus proches du niveau de Fermi ont clairement une dispersion en kz discontinue, consistant en des segments linéaires (pas de dépendance de l’énergie de l’électron avec le vecteur d’onde) correspondant aux gammes en kz sur lesquelles ces bandes apparaissent. Le même phénomène est observable sur l’échantillon de 3 couches, avec cette fois-ci trois bandes apparaissant ou disparaissant. Néanmoins, les segments brillants sont plus courts en kz et plus nombreux pour chaque bande. Ils commencent à dessiner les oscillations de bandes que l’on voit clairement sur l’échantillon de 6-7 couches, où la dispersion observée est très similaire à celle mesurée dans des cristaux massifs de WSe2. Cette évolution est plus visible sur la dérivée seconde des images (parties (e-g)). Les parties (h-k) présentent des calculs réalisés à l’aide du programme SPRKKR, qui résout l’équation de Dirac en utilisant la diffusion multiple et les fonctions de Green. Ils reproduisent très bien les résultats expérimentaux.
En résumé, dans une monocouche de TMD les électrons sont confinés à l’intérieur de la couche et occupent un unique état électronique discret (à une énergie donnée). Quand le nombre de couches augmente, les électrons peuplent de plus en plus d’états discrets à des énergies différentes, qui finissent par former la dispersion continue attendue dans le cristal massif.
Ce travail fait partie de la thèse de Raphaël Salazar, effectuée à SOLEIL et financée par l’Agence Nationale de la Recherche (projet CORNFLAKE, ANR-18-CE24-0015-01).