Des scientifiques de Coimbra, DESY, LISA, Münster, Valladolid et Angers se sont associés à l’équipe de la ligne de lumière DESIRS pour étudier l'évolution de la structure des agrégats moléculaires de [4]hélicène, le plus petit hydrocarbure aromatique polycyclique (HAP) chiral, chiralité due à sa structure en hélice.
Grâce à la spectroscopie de photoélectrons et à des modélisations théoriques avancées, ils ont découvert que lors de la croissance des agrégats de [4]hélicène, une voie d'agrégation homochirale est énergétiquement favorisée par rapport aux arrangements hétérochiraux à mesure que la taille des agrégats augmente, jusqu'à l'heptamère (agrégat de 7 molécules).
Sur la station expérimentale SAPHIRS de la ligne de lumière VUV* DESIRS, l'équipe internationale de scientifiques a mené des expériences de spectroscopie de photoélectrons (SPE) qui ont révélé la formation de grands agrégats de [4]hélicène (voir Fig. 1), le plus petit hydrocarbure aromatique polycyclique qui présente une chiralité hélicoïdale. Ce type de molécule existe sous deux formes énantiomères P et M (en fonction du sens de rotation de l’hélice) qui sont des images miroirs l'une de l'autre, tout comme nos mains. Comprendre les tendances d'agrégation des molécules chirales dans l’espace interstellaire est essentiel pour l’étude des processus chimiques qui ont lieu dans le milieu interstellaire, et les HAP sont particulièrement intéressants en raison de leur abondance dans l’espace.
Figure 1 : Distribution des agrégats des formes chirales P et M de [4]hélicène (structures représentées à gauche) obtenue grâce au spectromètre de masse à temps de vol pour une énergie de photons de 11 eV. Le spectre de la partie inférieure de la figure est un zoom vertical du spectre situé au-dessus.
L'équipe a étudié la formation d'agrégats dans un jet moléculaire en utilisant les capacités uniques du spectromètre i2PEPICO de SAPHIRS, qui permet d'enregistrer en coïncidence les photoions et photoélectrons générés par des processus photo-induits dans le VUV, permettant ainsi d'extraire les spectres photoélectroniques pour chaque taille d'agrégat (SPE triés en masse) et de les analyser indépendamment. Une tendance claire est ressortie de l’ensemble de ces résultats, montrant une diminution du seuil d’énergie d'ionisation avec l'augmentation de la taille des agrégats. Cela signifie qu'il faut moins d'énergie pour extraire des électrons des agrégats plus grands, comparativement aux plus petits, comme le dimère et le trimère (voir Fig. 2). Un tel effet n'a été observé qu'une seule fois sur des HAP, également sur la ligne DESIRS, lors d'une expérience précédente avec le pyrène C16H10 et le coronène C24H12. Cependant, ceux-ci étaient des HAP plans, ce qui suggère un comportement général aux HAP.
Figure 2 : Théorie vs expérience : évolution des énergies d'ionisation en fonction de la taille des agrégats de [4]hélicène (1=monomère -> 7=heptamère). Les données expérimentales (carrés rouges) sont comparées aux potentiels d'ionisation (verticaux) des isomères de plus basse énergie obtenus à plusieurs niveaux de théorie.
Dans cette étude, la modélisation des agrégats de [4]hélicène devient rapidement très complexe en raison des nombreuses possibilités de combinaisons des formes chirales M et P (énantiomères). Par exemple, dans le cas le plus simple du dimère, on peut avoir les possibilités suivantes : PP et PM ; calculer les géométries pour des agrégats plus grands est coûteux en termes de calcul, et il n’existe actuellement pas de méthode théorique standardisée applicable à toutes les classes de molécules. L'équipe a développé une série d'approches théoriques utilisant différentes méthodes, et ils ont réussi à prédire la tendance des énergies d'ionisation observée dans les expériences avec SAPHIRS sur DESIRS, démontrant la grande fiabilité de leurs modélisations (voir Fig. 2).
Les structures moléculaires calculées suggèrent qu'il est énergétiquement plus favorable de former des agrégats avec les mêmes formes chirales, c’est-à-dire PP, PPP, PPPP, et ainsi de suite, plutôt que de former des types mixtes, comme PM, PMM, PMPM (voir Fig. 3). Les agrégats de types PP, PPP (...) PPPPPPP sont désignés homochiraux, tandis que les types mixtes sont désignés hétérochiraux. L'équipe a émis l'hypothèse que cette préférence pour les voies d'agrégation homochirale pour les HAP chiraux pourrait indiquer des événements potentiels de rupture de symétrie dans l’espace. Ces résultats sont très importants pour notre compréhension de la formation d'agrégats dans le milieu interstellaire à l'échelle des petits grains.
Figure 3 : Structures moléculaires calculées des dimères et trimères les plus stables d’ions [4]hélicène pour les formes homochirales (PP et PPP, respectivement) et hétérochirales (PM et PPM, respectivement). L’énantiomère P est en gris, le M en rouge.
* VUV : vacuum ultraviolets, partie du spectre UV absorbée par l’oxygène de l’air, en-dessous de 200 nm (au-delà de 6 eV). En pratique -et sur DESIRS- VUV correspond au domaine 6-40 eV.