Aller au menu principal Aller au contenu principal

Des composés multiferroïques dans les mémoires magnétiques de demain ? Intérêt de la haute pression mis en évidence sur AILES

La possibilité de contrôler les propriétés magnétiques d’un matériau par un champ électrique représente un « Graal » pour les applications dans le domaine des mémoires magnétiques. Pour cette raison, les composés dits « multiferroïques » -aux propriétés de polarisation P (ferroélectricité) et d’aimantation M (magnétisme) couplées- suscitent beaucoup l’intérêt des chercheurs. Ce couplage se traduit par l’apparition d’une excitation appelée « électro-magnon » mesurable par spectroscopie d’absorption dans le domaine d’énergie du THz (entre infrarouges et micro-ondes) à des températures très basses.

Ainsi, des chercheurs de la ligne AILES de SOLEIL associés à des chercheurs de l’université Paris 7 ont mis en évidence un tel couplage P/M dans le monoxyde de cuivre, CuO, grâce à la spectroscopie THz. De plus, l’extrapolation de ces mesures expérimentales montre que l’électro-magnon mesuré pourrait rester stable jusqu’à température ambiante si une haute pression est appliquée sur l’échantillon.

Les concepts de l’électromagnétisme sont nés de l’idée d’un lien entre les champs électriques et magnétiques. Les équations de Maxwell établies en 1865 par James Clerk Maxwell en constituent la base. Le verrou actuel dans l’utilisation des matériaux multiferroïques dans des applications utiles à la vie de tous les jours réside dans les basses températures (cryogéniques) nécessaires à la stabilisation des phases multiferroïques. A l’heure actuelle, une grande partie des recherches vise à atteindre la stabilisation de phases multiferroïques à température ambiante. Cette étude montre qu’il est possible de stabiliser et même de renforcer l’électro-magnon dans le monoxyde de cuivre CuO jusqu’à température ambiante en appliquant une pression sur l’échantillon.

Pour cela, une cellule à enclume de diamants (CED) a été utilisée : elle permet d’appliquer une pression hydrostatique de quelques GPa (environ 10 000 à 40 000 atmosphères) en pressant l’échantillon placé dans un joint métallique entre 2 diamants (voir photo de présentation). Le diamant étant un matériau transparent dans l’infrarouge (IR) et le THz, il est possible de réaliser des mesures de spectroscopie d’absorption IR à travers cet échantillon placé dans le petit volume à l’intérieur de la CED (cf fig 1).

Figure 1 : Représentation schématique du montage expérimental avec une photo de l'échantillon de CuO dans la cellule à enclume de diamant.

L’électro-magnon est une excitation de faible intensité, compte tenu des dimensions submillimétriques de l’échantillon ; sa mesure a néanmoins été possible grâce à la forte brillance du faisceau THz exploité par la ligne AILES. Les spectres d’absorption ont été mesurés pour plusieurs valeurs de pression dans la CED (0.3 GPa, 1 GPa, 2 GPa et 3.3 GPa), en partant de la basse température (170 K) jusqu’à température ambiante. La figure 2 montre l’évolution de la plage d’existence en température de l’électro-magnon (maximum de l’absorbance) en fonction de la pression. Il apparait que, lorsque la pression augmente dans la cellule, l’électro-magnon existe sur une plus grande plage de températures (la tache de couleur qui correspond donc à l’électro-magnon, s’étale de plus en plus vers les basses et les hautes températures) et il se renforce (l’intensité de l’excitation augmente, traduite par la couleur allant vers le rouge).

Figure 2 : Carte 2D des spectres d'absorbance dans le domaine du THz en fonction de la température pour différentes valeurs de pression dans la CED ; 0,3 GPa équivaut à près de 3000 fois la pression atmosphérique. À pression atmosphérique (mesure faite hors CED) un électro-magnon est mesuré aussi, mais sur une gamme de températures encore plus réduite qu’à 0,3 GPa.

Conclusion

Quand une pression hydrostatique est appliquée sur un échantillon de CuO, la force de l’électro-magnon, excitation caractéristique de la phase multiferroïque, augmente d’un ordre de grandeur et son domaine d’existence en température s’élargit d’environ 40 K. L’extrapolation de ces données permet de prévoir une stabilisation de la phase multiferroïque à température ambiante pour une pression d’environ 8 GPa (80 000 atm ; cf figure 3, étoile rouge).

De récentes études montrent que des valeurs de pression équivalentes peuvent être obtenues en faisant croître des matériaux sous forme de films minces sur un substrat qui permet d’appliquer une contrainte plus ou moins équivalente à celle de la pression hydrostatique. Ce travail ouvre donc la voie vers l’utilisation des matériaux multiferroïques dans des dispositifs électroniques – dispositifs incorporant classiquement des matériaux sous forme de films minces.

Figure 3 : Diagramme de phase pression-température de la phase multiferroïque de CuO obtenue grâce aux de l'électro-magnon. Les points noirs sont des mesures expérimentales, et l’étoile rouge est un point obtenu par extrapolation.