Les otolithes sont des structures minérales présentes dans l'oreille interne des vertébrés. Chez les poissons téléostéens*, ils se forment de manière continue tout au long de la vie de l'animal et conservent alors un archivage chronologique des signatures chimiques et biologiques des événements et des conditions de vie tout au long de sa croissance. Indicateur précieux du mode de vie et des variations de l'environnement des téléostéens, l’otolithe pouvait jusqu’alors être difficile à étudier du fait de sa petite taille. Sur la ligne de lumière NANOSCOPIUM de SOLEIL, des méthodes d'analyse à résolution nanoscopique et sensibles aux éléments chimiques composant le biominéral, ont permis de déduire l’environnement (rivière-océan) et l’âge de téléostéens en étudiant leurs otolithes, à l'échelle sub-micrométrique.
Les otolithes (« pierres d’oreille », en grec), sont des concrétions calcaires de l’oreille interne des vertébrés (Fig. 1) qui participent aux fonctions stato-acoustiques (audition et équilibration) de l’organisme. De plus, chez les poissons téléostéens l’otolithe est une source d'informations biogéochimiques précieuses et peut être considéré comme une 'boite noire' biologique : sa croissance continue sans processus de résorption donne accès à la suite séquentielle des étapes de la vie de ces organismes.
Figure 1 : Microtomographie CT-scan d’un spécimen de poisson téléostéen Microphis brachyurus. Focus sur le positionnement dans l’oreille interne des otolithes (astericus, sagitta et lapillus, chacun par paire) représentés en couleur sur la reconstruction en coupe de l'arrière du crâne (© P-Y. Ganier).
En effet, la croissance s'effectue par une alternance de couches riches en minéral et de couches riches en matière organique, appelés incréments. Tout comme sur une coupe d’arbre où l’on peut déduire l’âge de l’organisme à partir des cernes de croissance, l’otolithe permet par la lecture des incréments de réaliser des estimations d’âge de l’individu et de durée d’événements marquants. De plus, au cours de sa croissance, l’otolithe intègre des éléments chimiques présents dans le milieu de vie. Son étude par microanalyse chimique permet de rechercher dans la composition de l'otolithe des signatures de dynamique de croissance et de milieux traversés qui donnent accès à la reconstruction de l’histoire migratoire et environnementale des individus.
Les écueils sont les limites de détection des éléments constituant l’otolithe, notamment pour les éléments présents à l’état de trace (quantité de l’ordre de la partie par million, ou ppm), et la résolution des outils d'analyse, en particulier pour les otolithes de très petite taille.
La technique de spectroscopie de nanofluorescence X (nanoXRF) sur synchrotron offre la possibilité de cartographier les différents éléments d'intérêt pour la microanalyse biogéochimique de l'otolithe, et cela à l’échelle nanométrique.
Un programme de recherche conduit par l'équipe 'Biodiversité Plasticité Adaptation et Conservation' (UMR Borea) du Muséum national d'Histoire naturelle en collaboration avec la ligne NANOSCOPIUM de SOLEIL a permis de réaliser la cartographie élémentaire globale d'otolithes chez deux espèces de syngnathes d’eau douce, Microphis brachyurus et Microphis nicoleae (Fig. 2) avec une résolution spatiale de 500 nm pour la gamme d'éléments chimiques offerte à la détection par la ligne et sensible au ppm, du numéro atomique 13 (Aluminium) à 38 (Strontium).
Figure 2 : Chez les deux espèces de syngnathes d’eau douce étudiées, la cartographie XRF du Strontium, Sr, montre une répartition concentrique à la zone primordiale de l'otolithe (coupe médiane d’un otolithe sagitta – en mauve sur la figure 1). La quantification du Sr par zone indique une alternance de concentrations attestant d'une transition migratoire entre rivière et océan.
L’étude de la distribution zonale dans l’otolithe de la concentration du strontium, élément chimique significativement plus abondant dans les environnements marins qu’en eau douce, a mis en évidence la signature d'une transition migratoire environnementale. Les deux espèces de syngnathe d’eau douce étudiées ont donc un cycle de vie diadrome (deux phases réverses de transition rivière-océan). La variation de distribution de certains éléments de traces élémentaires dans l'otolithe (Al, Cu, Fe) pourrait traduire des différences dans les voies de dispersion des populations.
L'analyse de la distribution spatiale de l'élément soufre a quant à elle permis de relier la variation d'abondance de cet élément aux stries d’incrémentation de l’otolithe, offrant ainsi la possibilité de modéliser un comptage chimique des stries de croissance (Fig. 3). Très utilisées dans les études d'écologie des populations, les estimations d’âge étaient jusqu'ici réalisées par comptage visuel des marques d’accroissement sur l'otolithe, procédé ayant comme facteur limitant la lisibilité intrinsèque de l'échantillon (notamment ceux de taille réduite) et l’expérience de lecture du manipulateur. Cette méthode novatrice de comptage par la microchimie du soufre, sous réserve de la nécessité d'un mode de détection de haute performance spatiale, a permis la lecture d'âge sur les otolithes des deux espèces étudiées, autrement invalides à cette approche.
Figure 3 : L'imagerie en Microscopie électronique à balayage montre que la lisibilité de la striation sur une coupe d'otolithe est inégale (a). Le profil du soufre sur un tracé positionné à l'aide de la carte de distribution du Sr (b) permet la reconstruction et le comptage de la séquence des stries sans discontinuité (c).
L'étude a porté sur deux espèces de syngnathes vivant dans des milieux fragilisés par des pressions d'origine anthropique et impactant les environnements utiles pour la réalisation du cycle de vie. Dans un contexte d’érosion de la biodiversité, cette connaissance constitue l'étape préliminaire essentielle pour la préservation et la conservation des populations.
*Les téléostéens sont une classe de poissons osseux caractérisée par la présence d'une mâchoire évoluée, de nageoires appariées et d'écailles minces.