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Découverte des plus anciens eucaryotes planctoniques macroscopiques - Apport de la ligne NANOSCOPIUM

L’origine des cellules eucaryotes* est un défi majeur en biologie évolutive, suscitant un débat tenace au sein de la communauté scientifique depuis des décennies. Une équipe internationale coordonnée par Abderrazak El Albani (IC2MP – Université de Poitiers/CNRS) a mis en évidence les plus vieux fossiles de protistes eucaryotes, qui vivaient dans l’eau de mer (plancton) il y a 2,1 milliards d’années. Ces fossiles ont été découverts dans le fameux gisement gabonais de Moulendé, qui avait déjà livré les plus anciens organismes multicellulaires « Gabonionta », ce qui permet d’apporter un éclairage nouveau sur le début de l’émergence des eucaryotes.

Cette découverte fait reculer le curseur de l’émergence des organismes eucaryotes de plus de 300 millions d’années.

Il y a quelques années, l’équipe d’Abderrazak El Albani, de l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers, a découvert au Gabon les plus vieux fossiles d’organismes pluricellulaires nommés « Gabonionta ». Grâce à ce gisement situé dans le bassin de Franceville, la date d’apparition d’une vie pluricellulaire sur Terre avait alors été reculée d’environ 1,5 milliard d’années, passant de - 600 millions à - 2,1 milliards d’années. Les chercheurs avaient également montré que cette formidable biodiversité, concomitante d’un pic de concentration en dioxygène dans l’atmosphère, s’était développée dans un milieu marin calme et peu profond.

C’est au sein de la même formation géologique que l’équipe de l’IC2MP a découvert l’existence de fossiles de protistes macroscopiques dont la taille peut atteindre 4,5 centimètres.

Figure 1 - © A. El Albani & A. Mazurier

Photos de spécimens sur le terrain et images obtenues par micro-tomographie. Elles révèlent la morphologie 3D des organismes protistes macroscopiques montrant l’aspect lenticulaire et segmenté de l’intérieur de l’organisme fossilisé. Précédemment, les protistes de ce type étaient datés d’environ 600 millions d’années (période de l’Ediacarien, caractérisée elle aussi par un pic de dioxygène et une explosion de biodiversité). Echelle : 1 cm.

Leur milieu de vie semble avoir été dans l’eau et non sur le fond marin. Dans cet écosystème marin primitif, certains organismes eucaryotes étaient donc déjà biologiquement suffisamment sophistiqués pour pouvoir vivre de façon planctonique. Ce résultat a été obtenu grâce à l’usage du zinc, considéré comme un élément indispensable pour le métabolisme biologique. Les données ont révélé que ces fossiles contiennent environ deux fois plus de zinc que le sédiment qui les contient. De plus, à l’intérieur de ces fossiles, les isotopes du zinc montrent un enrichissement en isotope léger par rapport à ce même sédiment. Le comportement du zinc est d’un grand intérêt car il s’agit d’un micronutriment bio-essentiel, composant de plusieurs métalloenzymes qui remplissent des fonctions biologiques clés dans les cellules eucaryotes.

Ainsi, la demande cellulaire en zinc dépend fortement de la taille de la cellule, de l'organisation, la complexité, la fonctionnalité et le métabolisme. À cet égard, l’augmentation de la taille de ces organismes a pu être corrélée à l'augmentation de la disponibilité du zinc. Ces données ont permis de mettre en lumière le rôle fondamental du zinc comme marqueur biogéochimique de la

biogénicité.

Parallèlement, un couplage avec des analyses de nano-imagerie à balayage de fluorescence X sur la ligne de lumière NANOSCOPIUM de SOLEIL a permis de retracer la répartition spéciale à l’échelle nanoscopique du zinc à l’intérieur de ces spécimens ainsi que sa co-localisation avec la matière organique.

La reconstitution morphologique en 3D par micro-tomographie aux rayons X, technique d’imagerie non-destructive, a permis d’avoir un éclairage sur la morphostructure. Enfin, les résultats ont montré qu’il s’agit bien de structures lenticulaires ayant une compartimentalisation interne. Ces données d’imagerie apportent une confirmation supplémentaire de l’origine biologique de ces fossiles.

À quoi ressemblaient concrètement ces êtres vivants ?

Ils étaient peut-être similaires aux protistes de grand taille capables de flotter dans la colonne d’eau. Quand ces organismes agrègent des fines particules argileuses, ils chutent sous l’effet de leur densité d’une manière aléatoire sur les sédiments formant le fond marin. Jusqu’à présent, les plus anciens protistes eucaryotes planctoniques reconnus étaient datés de 570 millions d’années, ce qui semblait être conforté par les estimations utilisant l’horloge moléculaire**. Cette nouvelle découverte met en évidence une innovation biologique qui soulève de nouvelles questions sur l’histoire de l’évolution à savoir : des formes de vie planctonique perfectionnées existaient-elle déjà il y a 2,1 milliards d’années ?

Figure 2 - © A. El Albani

Représentation artistique de la morphologie et de l'environnement de vie des spécimens protistes étudiés faisant partie des « Gabonionta ». La forme est lenticulaire à symétrie radiale et la cavité est segmentée en différentes chambres. Ils peuvent atteindre de grandes tailles, jusqu'à 4,5 cm. Une bordure large d’environ 1/6e du diamètre extérieur caractérise une grande partie de la population et jouait probablement un rôle pour le déplacement dans la colonne d'eau. La surface légèrement crénelée de ce qui est probablement un protiste (eucaryote unicellulaire) a été protégée par un matériau argileux en suspension piégé dans la couche néphéloïde (couche d’eau mobile située près du fond marin).

Apport de la ligne NANOSCOPIUM

Sur la ligne NANOSCOPIUM l'imagerie de fluorescence X (XRF) par balayage a été réalisée par balayage continu rapide (FLYSCAN) sur des zones d’un mm2 d’échantillons représentatifs des sédiments marins étudiés. Ces mesures ont permis d'obtenir des cartes de distribution des éléments S, K, Ca, Ba, Mn, Fe, Ni, Cu, Zn, Ga, Ge, As, Se, Pb, Sr et Zr dans les fossiles et les sédiments encaissants (roches hôtes), comme l'illustrent les figures 3a et 3b.

Figure 3a : Zones (carrés rouges) analysées par XRF dans les roches hôtes et un fossile (zone de couleur gris clair délimitée par les flèches jaunes).

 

Figure 3b : Cartes de distribution des éléments S, Fe, Ca et Zn.  En haut : dans le fossile (zone de 500 µm x 500 µm) et en bas : dans la roche hôte (zone de 600 µm x 600 µm).

Le grand nombre de pixels, 20.000-90.000 par image, mesurés dans chaque scan a permis une comparaison statistique approfondie entre la composition chimique du fossile et celle de la roche hôte. Par exemple, comme les cartes de distribution de S, K, Ca et Mn ne montrent aucune colocalisation significative avec le Zn, on peut conclure que le Zn n'est pas lié à des phases minérales contenant du S, K, Ca ou Mn, que ce soit dans les fossiles ou dans les roches hôtes. En outre, l'imagerie XRF à haute résolution spatiale a été cruciale pour identifier les valeurs particulières à forte teneur en Zn, qui ne sont présentes que dans ~3,5 % du nombre total de pixels, sous forme de phases minérales d’une taille d'un micromètre. La présence rare de ces micro-minéraux contenant du Zn entraîne une augmentation négligeable, moins de 10 %, de la concentration moyenne de Zn mesurée dans n'importe quelle zone d'échantillonnage choisie. Cette découverte est cruciale pour une comparaison fiable de la teneur en Zn des fossiles et des roches hôtes par des techniques d'analyse « bulk » (qui donnent des valeurs de mesure moyennées sur une surface ou un volume, et ne permettent pas de déterminer leur variation spatiale).

 

* Organismes composés d’une ou plusieurs cellules qui se caractérisent par la présence d’un noyau et d’organites délimités par des membranes cellulaires.

** Le principe : exploiter les variations observées entre deux espèces dans des régions similaires de leur ADN pour estimer la durée écoulée depuis l’époque où vivait leur dernier ancêtre commun.