Aller au menu principal Aller au contenu principal

Comment forcer l’état magnétique d’une molécule bistable

Les molécules à transition de spin possèdent deux états (un état magnétique et un état non-magnétique) qui peuvent être modifiés par des stimuli extérieurs. La possibilité de passer d’un état à l’autre grâce à des stimuli est très intéressante pour des applications en spintronique moléculaire, à l’affût de nouveaux supports pour les bits d’information, toujours plus miniaturisés. Mais la préservation de ces propriétés est remise en cause en basse dimensionnalité. Une collaboration internationale entre chercheurs d’instituts français (MPQ, Paris ; ligne SIXS de SOLEIL ; ICMMO, Orsay ; SPEC, Saclay), indien (JNCASR, Jakkur) et roumain (Faculté de Physique, Isasi), a ainsi montré que lorsqu’on dépose des molécules à transition de spin sur une surface d’or, celle-ci influence l’organisation cristalline des molécules et les contraintes induites dans le réseau moléculaire forcent la coexistence des molécules dans les deux états magnétique et non-magnétique à basse température.

Les molécules à transition de spin sont composées d’un ion métallique central entouré par des ligands organiques qui induisent une levée de dégénérescence sur les orbitales d de l’ion. En fonction de la compétition entre l’énergie d’appariement des électrons et l’énergie du champ de ligand, les orbitales peuvent être remplies de deux façons conduisant à deux états de spin différents qui correspondent à un état magnétique et un état non-magnétique. Ainsi, en adaptant les ligands, il est possible d’obtenir une situation où les molécules bistables peuvent basculer d’un état non-magnétique à un état magnétique par des stimuli extérieurs comme une variation de température ou l’action de la lumière. Néanmoins, si les propriétés de ces molécules sont bien maitrisées en volume, elles se trouvent fortement modifiées lorsque les molécules sont sous la forme de nano-particules ou forment un réseau bidimensionnel.

Le présent travail s’intéresse à la manière dont le substrat, via des contraintes épitaxiales, peut influencer l’état magnétique de molécules lorsqu’elles sont organisées en monocouche sur une surface métallique. Pour cela, des mesures de diffraction de rayons-X en incidence rasante, réalisées sur la ligne de lumière SixS, ont été couplées à des calculs et simulations numériques. Les molécules utilisées lors de cette étude présentent un ion de FeII central entouré par des ligands organiques, comme montré sur la figure.

Figure : À gauche, cartographie de l’espace réciproque permettant la détermination des paramètres de la monocouche de molécules à transition de spin sur la surface d’or (Au(111)). Au centre de la carte, le schéma d’une molécule est représenté avec les atomes de C, H, B, N et Fe en marron, blanc, vert, bleu et doré (la surface d’or est représentée en jaune). À droite, simulation mécano-élastique de la fraction de molécules dans un état magnétique (haut spin, HS) en fonction du rapport des constantes de couplage au substrat (ksub) et entre les molécules (kmol). La contrainte épitaxiale imposée par le substrat peut conduire à des transitions thermiques incomplètes.

La figure de gauche présente une cartographie typique de l’espace réciproque mesurée sur une sous-monocouche de molécules à transition de spin adsorbées sur un substrat d’or (Au(111)). Par ce type de mesures, il a été possible d’identifier les pics de diffraction liés à l’organisation des molécules à transition de spin et montrer qu’elles s’organisent selon un réseau en épitaxie avec le substrat d’Au(111) formant ainsi de larges domaines bien orientés. Par ailleurs, l’orientation des molécules adsorbées sur la surface a été déterminée précisément en comparant les intensités relatives des différents pics de diffraction avec des calculs ab-initio.  

Afin de mieux comprendre le rôle du substrat sur la transition thermique des molécules d’un état magnétique à haute température vers un état non-magnétique à basse température, un modèle mécano-élastique simple a été développé prenant en compte les interactions molécules-molécules et molécules-substrat sous la forme de ressorts (respectivement appelés kmol et ksub). Il a ainsi été possible de montrer qu’il existe une gamme de paramètres pour lesquels à basse température une partie des molécules est stabilisée dans l’état magnétique (dit haut spin, HS). La figure de droite présente en particulier l’évolution de la proportion de molécules dans l’état magnétique (HS fraction) en fonction du rapport des constantes de ressort (ksub/kmol). Il est ainsi possible de voir qu’il existe une gamme de rapport (ici inférieur à 0.05) pour laquelle les propriétés des molécules ne sont pas affectées par la surface, c’est-à-dire que les molécules sont dans un état non-magnétique comme attendu en volume à basse température. Au-delà, l’état magnétique est stabilisé du fait des contraintes épitaxiales et il est possible d’observer la coexistence des deux états même à basse température.

La co-existence à basse température des deux états moléculaires a pu être mise en évidence, dans une précédente étude, à la fois par des mesures de microscopie à effet tunnel réalisées au laboratoire Matériaux et Phénomènes Quantiques (Université Paris/CNRS) et par des mesures de spectroscopie d’absorption de rayons X (XAS) au seuil du Fe réalisées sur la ligne de lumière DEIMOS. Les résultats XAS obtenus pour une couche d’une épaisseur de 1.5 monocouches montrent effectivement que la transition thermique n’est pas complète.

Les résultats obtenus sur l’influence des contraintes épitaxiales sur les propriétés des molécules à transition de spin s’inscrivent dans le cadre du projet européen FET-Open COSMICS. Ils permettent une meilleure compréhension structurale des interfaces molécule/métal et ouvrent des portes sur la manière dont il peut être possible de les contrôler par des contraintes épitaxiales.