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Chimie verte : la lumière infrarouge dévoile le métabolisme cellulaire des levures, mini-usines de production de lipides à façon

L'utilisation combinée du faisceau synchrotron de la ligne SMIS et d'hémisphère en ZnSe a permis aux chercheurs de l'INRA d'obtenir des spectres infrarouges sur des levures uniques. L'analyse comparative de spectres infrarouge de levures riches ou pauvres en huile a révélé de fortes modifications du métabolisme entre souches ayant une capacité variable de stockage des lipides. Ce travail permet de comprendre les mécanismes cellulaires mis en jeu lors du stockage de l'huile, afin de développer des levures performantes pour des applications en chimie verte.

Huiles des levures, biodiésel et chimie verte

Depuis des siècles, les levures sont utilisées pour leur intérêt biotechnologique dans les procédés agroalimentaires (vin, bière, cidre, pain, fromage, etc). Depuis quelques décennies, elles sont également étudiées dans le but de produire de l'huile pour remplacer les ressources issues de la pétrochimie qui se raréfient. Certaines levures sont dites oléagineuses, elles peuvent produire jusqu'à 80% de leur masse en huile (ou lipides de réserve). Cette huile peut ensuite être transformée en biodiésel ou en précurseurs pour la chimie verte. Les objectifs principaux pour la valorisation des levures pour la production massive d'huile sont (i) d'augmenter les rendements, (ii) de modifier les profils des acides gras contenus dans les huiles pour répondre aux besoins techniques et contraintes d'usage. Par exemples, les dérivés d'acides gras polyinsaturés (AGPI) sont utilisés pour la fabrication de plastiques et de polymères. Il en est de même pour les acides gras à chaines moyennes (nombre de carbone entre 6 et 14) qui sont des précurseurs pour la fabrication des produits d'entretien, des lubrifiants et des cosmétiques.

La cellule mise à nue par l'infrarouge

C'est dans ce cadre que se positionnent les recherches de l'équipe DYSCOL (Dynamique et Structure des Corps Lipidiques) de l'Institut Jean-Pierre Bourgin (INRA-AgroParisTech, Versailles) qui travaille à identifier des facteurs influant sur la quantité et la qualité des huiles produites chez les plantes et chez les microorganismes. Grâce à la modification génétique de la levure de boulangerie (S. cerevisiae) par l'expression de protéines impliquées dans le stockage des huiles dans les graines de plantes, les chercheurs ont obtenu des souches capables de produire plus de lipides de réserve. Afin de mieux comprendre les mécanismes mis en jeu lors de l'accumulation de l'huile dans ces levures, les chercheurs ont analysé ces souches et des souches pauvres en huile par microspectroscopie infra rouge (Fourier Transformed Infra Red, FT-IR). Cette technique permet d'obtenir une vision générale du métabolisme cellulaire grâce à une empreinte spectrale des macromolécules biologiques (lipides, acides nucléiques, sucres, etc). Le FT-IR permet de remplacer les analyses biochimiques traditionnelles qui sont consommatrices de grandes quantités de matériel biologique et de solvants et donc d'envisager des analyses sur de grandes populations (approches haut débit). Combinée à la haute résolution spectrale et spatiale offerte par la lumière synchrotron, le FT-IR permet une analyse à l'échelle de la cellule unique pour des analyses statistiques et d'hétérogénéité de population.

De la fiole au spectre, présentation d'une démarche intégrée

La présence du laboratoire de biologie au sein de SOLEIL a permis aux chercheurs de développer un protocole qui permet l'analyse par FT-IR de cellules à différents temps de croissance (1 jour = 18 heures et 2 jours = 42 heures) et récoltées fraîchement. Les cellules ont ainsi pu être prélevées, concentrées par centrifugation puis lavées à l'eau seulement quelques minutes avant les observations. Une goutte de la suspension cellulaire a été séchée sur hémisphère ATR de zinc sélénium (ZnSe) de 4 mm de diamètre. Les spectres ont été enregistrés en utilisant le microscope Continuum XL disponible sur la ligne SMIS avec une résolution spatiale de 4x4 µm, correspondant à la taille moyenne d'une cellule. Les spectres ont ensuite été analysés par des logiciels informatiques (correction des spectres et analyses statistiques) pour visualiser les variations de spectres entre les souches.

Sucres ou lipides, il faut choisir !

Ainsi, les chercheurs ont montré qu'une augmentation de la teneur en huile induit d'importantes modifications métaboliques en particulier sur les pools de carbone. Une corrélation inverse entre teneur en huile et en sucres de réserve (glycogène) a pu être mise en évidence. Ces résultats ont permis d'orienter la suite des recherches de l'équipe DYSCOL. Cette corrélation inverse entre lipides de réserve et sucres de réserve a été confirmée par des dosages biochimiques. Des analyses transcriptomiques sont maintenant en cours afin d'identifier les régulateurs et les mécanismes cellulaires mis en jeu lors du stockage des lipides de réserve pour aller vers l'obtention de levures performantes pour des applications biotechnologiques.

Figure 1 : prise de vues de la ligne et du dépôt sur hémisphère

Figure 2 : chaine d'acquisition et de traitement des données