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Attraction de longue portée entre surfaces hydrophobes - Mesure directe des corrélations latérales sous nano-confinement contrôlé

Alors que l’effet hydrophobe est à la base de nombreux phénomènes chimiques ou biologiques, l’interaction entre deux substrats hydrophobes restait incomprise. Grâce à la mise au point d’un dispositif expérimental ultra-sensible couplant les techniques de l’Appareil à Force de Surface et de diffusion aux petits angles, des chercheurs de l’ICS de Strasbourg et de la ligne SIRIUS ont réussi à décrypter le mécanisme d’attraction entre des surfaces macroscopiques hydrophobes.

L’une des questions qui demeure concernant l’interaction existant entre l’eau et des surfaces est la nature de la région de contact entre l’eau et une surface hydrophobe, clé de la compréhension de l’effet hydrophobe. Les interactions hydrophobes jouent en effet un rôle important dans de nombreux phénomènes en biologie comme le repliement des protéines et l’auto-association de tensioactifs et de lipides en solution, et elles sont utilisées dans de nombreuses applications, allant de la détergence et propriétés de dispersants, des formulations (émulsions, crèmes, shampoings, colorants, etc.), de la synthèse de nanoparticules, à la lubrification et la récupération assistée de minerais. Un grand nombre de travaux ont suggéré que la densité de l’eau était réduite à l’interface eau / substrat hydrophobe et que le film d’eau subissait un démouillage significatif dans la région de contact (cavitation) lorsque deux substrats hydrophobes se rapprochaient. Cependant, les détails microscopiques de comment l’eau rencontre un substrat hydrophobe n’étaient toujours pas fermement établis. Si bien que le mécanisme qui permettrait d’expliquer l’observation de l’attraction entre surfaces macroscopiques hydrophobes, à la fois de longue portée (une centaine de nanomètres) et d’amplitude deux à trois ordres de grandeur plus grande que l’interaction de van der Waals, était resté sans explication satisfaisante depuis 40 ans.

Résoudre cette question fascinante demande de pouvoir investiguer la région interfaciale non seulement au voisinage du substrat hydrophobe en contact avec une solution aqueuse, mais surtout de suivre son évolution structurale lorsque l’épaisseur du film d’eau confinée entre deux tels substrats hydrophobes est réduite progressivement, et ce de manière contrôlée à l’échelle nanométrique ou sub-nanométrique. Ceci devient un challenge expérimental.

Grâce à un développement instrumental poussé et ultra-sensible, développé au cours de plus de dix ans d’efforts continus, des chercheurs de l’Institut Charles Sadron de Strasbourg et de la ligne SIRIUS ont réalisé sur cette ligne de lumière la mesure de la structure dans l’espace de confinement (film d’eau confiné entre deux surfaces hydrophobes) par diffusion-diffraction de rayons X, tout en faisant varier l’espacement entre les deux substrats hydrophobes de manière continue et contrôlée à l’échelle du sub-nanomètre. En d’autres termes, cette expérience couplant  la technique de l’Appareil à Force de Surface (Surface Force Apparatus, SFA) et la diffusion aux petits angles (SAXS), dénommée SFAX, peut être vue comme celle d’une expérience de microfluidique, mais qui a l’avantage d’être continûment ajustable, finement contrôlable, où la structure du film confiné est déterminée.

Figure 1 : Schéma du dispositif expérimental SFAX sur la ligne SIRIUS

Le faisceau incident de rayons X perpendiculaire aux deux surfaces de mica atomiquement non rugueuses (épaisseur ~5 µm ; rayon de courbure ~2 cm) librement suspendues du SFAX permet de décrire le plan équatorial de l’espace réciproque en fonction de l’épaisseur du milieu liquide confiné. Par approche ou éloignement du mica amont mobile, la séparation avec le mica de sortie, fixe, est contrôlée et mesurée à ±0.2 nm par interférométrie en lumière blanche, par un jeu de miroirs et objectifs escamotables permettant le couplage in situ avec les rayons X. La mesure se fait sous hélium (He).

Il apparaît que l’attraction de longue portée entre deux surfaces macroscopiques hydrophobes et non chargées prend son origine dans les corrélations latérales des positions des ions en solution le long des surfaces. Celles-ci naissent et s’accentuent lorsque les deux substrats se rapprochent. C’est cette redistribution des ions dans les plans des surfaces qui crée, dans la direction perpendiculaire, une force attractive. Tout se résume à une balance entre les deux longueurs caractéristiques du système opérant dans les deux directions (longueur de corrélation latérale vs. séparation le long de la normale) et qui entrent en synergie pour créer une attraction de type électrostatique en milieu aqueux.

Figure 2 : Les surfaces de mica, chargées négativement en solution aqueuse (dues à la dissociation des ions K+ des sites de surface), sont rendues hydrophobes et globalement non chargées par adsorption de tensioactif cationique (cetyltrimethylammonium de bromure, CTA+Br-). L’attraction de longue portée entre ces deux substrats résulte des corrélations de position des contre-ions se redistribuant dans l’espace confiné au fur et à mesure que celui-ci est réduit.

La fiabilité de l’appareillage SFAX démontre l’intérêt de ce type de mesures couplées. Il ouvre un vaste champ inexploré dans la physique de la matière condensée, de la physico-chimie, mais aussi de la biologie, avec des applications multiples dans les matériaux. Il permet ainsi d’étudier les interactions spécifiques directionnelles à très courte portée (inférieures à la vingtaine de nanomètres) à la base de la reconnaissance biologique, les conformations des nanoparticules, des agrégats de tensioactifs, des polymères et copolymères en confinement (passage 3D à 2D), les transitions de phase induites par confinement, mais aussi la nano-structuration des liquides ioniques au voisinage d’interfaces métalliques, électrifiées, dont la compréhension est d’importance pour le stockage d’énergie par exemple.