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Atmosphère de Titan – les signatures du méthane dans l’infrarouge étudiées sur la ligne AILES

Le méthane est une molécule particulièrement intéressante pour l’étude des atmosphères (exo)planétaires et notamment celle de Titan, une lune de Saturne, qui possède une épaisse atmosphère. L'analyse détaillée des rayonnements absorbés par le méthane dans la gamme de longueurs d’onde de l'infrarouge lointain, à des températures très basses (de l’ordre de –180°C), revêt alors une importance fondamentale pour mieux comprendre et caractériser l'environnement de Titan, en vue de la prochaine mission de la NASA, Dragonfly, qui sera équipée d’un drone.

Les molécules (ainsi que les atomes) émettent et absorbent des rayonnements de longueurs d’onde variées, qui sont autant de « signatures » témoignant de la composition et des propriétés physico-chimiques de ces molécules. Pour qu’une molécule absorbe le rayonnement infrarouge (IR), il faut que les charges électriques des atomes qui la compose ne soient pas réparties uniformément au sein de l’assemblage moléculaire – autrement dit, il faut qu’elle possède un moment dipolaire. Or, la molécule de méthane (CH4) est une molécule sans moment dipolaire permanent. Par conséquent, en première approximation, elle ne peut absorber le rayonnement infrarouge. Néanmoins, lorsque la molécule se trouve dans des états rotationnels ou vibrationnels excités, un tout petit moment dipolaire résulte des déformations dues à l’effet centrifuge ou des vibrations et ceci induit de très faibles absorptions dans le domaine IR, entre 60 et 200 µm de longueur d’onde.

L’étude du spectre IR (enregistrement de toutes les « raies » correspondant chacune à l’absorption d’une longueur d’onde IR par la molécule étudiée) du méthane à différentes pressions, basse température et dans un mélange gazeux (ici le gaz N2) est, malgré la faiblesse des absorptions, d’une importance majeure dans l’étude de l’atmosphère de Titan le plus gros satellite de la planète géante Saturne. En effet, il s’agit des conditions existant au sein de cette atmosphère, composée d’environ 96 % de N2 et de 4 % de CH4. Une telle expérience permet de définir les paramètres de l’élargissement des raies spectroscopiques qui sont essentiels dans la compréhension des modèles atmosphériques. Or, les scientifiques ont besoin de caractériser d’une façon précise cette atmosphère dans un avenir proche, dans l’optique des différentes missions à venir, et notamment Dragonfly, une mission d’exploration de la NASA, composée d’un drone. Ils ont besoin d’une banque de spectres de référence auxquels il sera possible de comparer les données enregistrées lors de ce type de mission spatiale, comme ce fut le cas pour la mission Cassini-Huygens.

Figure 1 : Photo de Titan, laissant entrevoir son épaisse atmosphère

Le synchrotron est un instrument qui produit une lumière d’une haute brillance sur une large gamme du spectre électromagnétique et tout particulièrement dans l’infrarouge lointain ; cette partie du rayonnement électromagnétique est disponible sur la ligne AILES de SOLEIL. De plus, pour des mesures d’absorption IR à très basses températures (jusqu’à – 150°C, conditions existant dans l’atmosphère de Titan notamment), l’un des équipements de AILES permet de réaliser les mesures d’absorption sur une longueur très importante, grâce à des allers-retours du faisceau IR dans la cellule de mesure – cette grande longueur compense alors la faible quantité de molécules à étudier (milieu gazeux, donc très dilué), et donne des spectres avec des raies d’absorption plus intenses. C’est un atout incontournable pour observer des raies spectrales qui sont généralement inobservables avec d’autres sources. Ceci a donc été utilisé pour observer les absorptions du méthane mélangé à l’azote dans le domaine IR.

Figure 2 : La ligne AILES permet d'enregistrer des spectres très difficiles à obtenir autrement, grâce à la forte brillance de la lumière IR produite par le synchrotron et le long chemin parcouru par le faisceau IR dans la cellule de mesure d’absorption. Cette photo montre le spectromètre Bruker utilisé pour l'expérience.

Les travaux des équipes du Laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne, de l’Université Libre de Bruxelles, du LISA et du LESIA ont ainsi permis de mesurer les valeurs des coefficients d’élargissement, ainsi que ceux de la dépendance à la température, des raies d’absorption du méthane pour lequel les données existantes dans les bases de données n’étaient jusqu’alors que des extrapolations à partir de raies mesurées dans d’autres régions du spectre d’absorption du méthane.

Figure 3 : Comparaison entre un spectre d’absorption IR par la molécule de méthane enregistré sur AILES (rouge) et modélisé par calcul (bleu), ainsi que les différences entre les deux (résidus d’ajustement, courbe rouge du bas)

Ces résultats sont un outil précieux permettant aux astronomes de déterminer avec précision le profil de concentration du méthane dans l’atmosphère de Titan.