Les matériaux semi-conducteurs peuvent-ils stocker et délivrer une grande quantité d'hydrogène à la demande, comme d'autres systèmes étudiés pour son stockage ? Pourraient-ils être utilisés dans des véhicules fonctionnant à l'hydrogène ?
Jusqu'à présent, l'incorporation d'une grande quantité d'hydrogène a uniquement été rapportée pour les semi-conducteurs amorphes. Grâce à des expériences menées à SOLEIL, des chercheurs de la ligne SIRIUS, du Conseil de la Recherche Nationale d’Italie et de l'université de Rome I ont estimé une absorption d'hydrogène sans précédent dans un semi-conducteur cristallin, le Nitrure de gallium-indium. L'association du stockage du H et de la capacité semi-conductrice dans un même matériau pourrait ouvrir de nouvelles perspectives dans le domaine de la science de l'énergie.
L'irradiation par des ions H de faible énergie des semiconducteurs InN etInxGa1−xN, entraîne une absorption d'hydrogène exceptionnellement élevée pour des semi-conducteurs cristallins. Ce phénomène est attribué à la formation de complexes In-H spécifiques. En détectant la « signature » des complexes In-H sur les spectres de spectroscopie d'absorption X (XAS) au seuil L3 de l'In, les chercheurs ont pu fournir des preuves directes de la formation de ce complexe. Les calculs de théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT) ont aidé à interpréter ces spectres XAS et donné une quantification de de l’énergie de formation des complexes. La quantité totale d'hydrogène incorporé de manière réversible dans ces semi-conducteurs a été quantifiée, et leurs forces et faiblesses en tant que matériaux innovants pour le stockage de l'hydrogène discutés.
La figure 1 montre une vue schématique du complexe In* « cation solitaire » au sein d’InN (la structure est similaire pour InxGa1−xN). Les cercles gris clair et bleu clair correspondent aux atomes d’In et N. Les cercles gris et bleus plus foncés sont les atomes In et N impliqués dans le complexe multi-H, et les petits cercles blancs les atomes H. Les flèches indiquent la direction de déplacement des atomes du complexe par rapport aux positions du réseau. L’ombré gris clair met en évidence le complexe In*.
Figure 1 : Vue schématique du complexe cationique solitaire In*
La figure 2 montre les spectres XAS au seuil L3 de In pour deux groupes de couches minces de InxGa1−xN correspondant à la plus haute (x = 0,84) et à la plus basse (x = 0,43) concentration d'In analysée. Pour la plus forte concentration (partie inférieure de la figure), une hydrogénation à la dose dH = 5 × 1016 ions.cm-2 est suffisante pour induire la transformation du pré-pic à énergie = 3729 eV en un épaulement, ce qui correspond à la formation du complexe. Les scientifiques ont également montré que l'effet sur le XAS est réversible puisqu'un spectre pris après un recuit thermique de l'échantillon hydrogéné restaure le pré-pic et la forme originale de cette partie du spectre (troisième spectre en partant du bas) ; ce qui traduit la destruction du complexe.
Un comportement différent est observé dans les échantillons ayant la plus faible concentration en In (les deux spectres du haut). Dans ce cas, l'hydrogénation n'induit aucune modification du spectre par rapport à l'échantillon brut, malgré l'utilisation d'une dose de H très élevée (dH = 3 × 1018 ions cm-2), montrant que la concentration en In est trop faible pour que le complexe se forme. Cette observation est à mettre en parallèle de ce qui a été observé pour la bande interdite : plus x est petit, plus le décalage vers du pic d'émission vers les hautes énergies après hydrogénation est faible, l'effet disparaissant totalement pour x ∼0.49.
Figure 2 : Spectres XAS de la couche L3 de l'indium dans la région de la couche proche (XANES) pour les couches minces InxGa1−xN avec x = 0,84 (trois spectres en bas : non traité, hydrogéné et recuit) et x = 0,43 (deux spectres en haut : non traité et fortement hydrogéné).
À partir des spectres XAS et des simulations ab initio basées sur les configurations de défauts calculées par DFT, la concentration maximale des complexes In* dans les couches minces de InN et d’InxGa1−xN a été estimée. En considérant qu'un défaut In* implique quatre atomes H pour chaque cation In*, il est possible d’extraire la concentration volumétrique de H, qui atteint 27 at% pour les couches InxGa1−xN hydrogénées aux plus fortes doses. Cette incorporation de H est extrêmement élevée pour un semi-conducteur cristallin, ce qui peut être expliqué par l'évolution de l'énergie de formation en fonction de la concentration en défauts (Fig. 3). La DFT prédit deux tendances, avec une pente décroissante à une concentration plus élevée ; ceci est dû à la création de niveaux électroniques qui fusionnent en formant une bande après qu'un certain seuil de concentration en défauts soit atteint.
Figure 3 : Énergie de formation par atome H au volume d'équilibre In* en fonction de l'absorption de H (les lignes droites sont indiquées pour aider à la lecture de la figure). On note deux tendances, avec une pente décroissante pour les concentrations de H plus élevées, indiquant que la résistance du système à l'adsorption de H devient relativement faible.
Les principaux atouts de ces matériaux sont leur capacité à stocker le H à température et pression ambiantes dans un volume réduit et dans un milieu semi-conducteur. Toutefois, il reste des défis à relever, car la température élevée et la longue durée nécessaires à la déshydrogénation posent des limites pour les applications automobiles. Des efforts supplémentaires de recherche et d'optimisation seront nécessaires pour relever ces défis et libérer tout le potentiel de cette approche pour le stockage de l'hydrogène.