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Quand la lumière UV de la ligne DISCO éclaire… des frites

Sera-t-il bientôt possible de ne plus craindre le verdict de la balance après avoir mangé des frites ? Des chips croustillantes et savoureuses mais sans être grasses… le rêve ! Un rêve que l’équipe d’Olivier Vitrac, chercheur INRA à AgroParisTech sur le site de Massy, et les membres de la ligne DISCO font en sorte de concrétiser en tentant de mieux comprendre une étape cruciale de la friture, dont dépend la teneur finale en huile de l’aliment frit. Comment ? En étudiant sous microscope la fluorescence émise par des lamelles de pommes de terre baignant dans de l’huile chaude… Attention : plongée du synchrotron dans une friteuse.

Frites, chips, « nuggets » et autres beignets, sucrés ou salés : aujourd’hui de 10 à 25% des produits que nous consommons sont frits. Si les plus jeunes s’en réjouissent, c’est un peu moins le cas de leurs parents, sensibilisés aux risques que présente pour la santé la consommation d’une nourriture trop riche en lipides. Or chacun sait que friture signifie bain d’huile… pas franchement « light », comme concept ! Les industries agro-alimentaires l’ont bien compris, et cherchent maintenant à proposer des aliments frits contenant moins de graisse. Mais pas question de perdre en saveur : le consommateur tient à ses frites à la fois croustillantes et fondantes – deux qualités que l’on imagine mal être obtenues en l’absence d’huile.

Une étape cruciale de la recette

Pour être précis, c’est d’une courte étape de sa préparation que vont dépendre à la fois les caractéristiques gustatives et la teneur en huile de l’aliment : il s’agit de sa sortie du bain de friture. C’est, d’une part, à ce moment-là que l’eau encore présente en surface de l’aliment s’évapore, provoquant une rapide déshydratation de sa croûte qui prend alors la fragile consistance vitreuse qui fait tout son croustillant. D’autre part, la frite plongée dans l’huile chaude n’est, contrairement à ce que l’on pourrait penser, pas encore grasse, de par une surpression de l’eau qu’elle contient qui empêche l’huile de pénétrer dans ses tissus. Mais, une fois sortie, l’eau qu’elle contient se condense et la frite va se comporter comme une éponge absorbant l’huile par capillarité et dépression. Et si l’imprégnation de sa croûte par l’huile est nécessaire pour que la frite soit moelleuse, celle-ci ne doit pas en absorber une trop grande quantité pour répondre aux critères de « frite légère »... 
Mais comment se fait cette imprégnation ? Quel chemin suit l’huile dans les tissus de l’aliment ? 
Sur DISCO, la technique d’analyse et le montage expérimental mis en place sur l’une des branches de la ligne de lumière permettent de visualiser en direct les flux microscopiques d’huile à travers la croûte « d’aliments-modèles », dans des conditions simulant cette étape de refroidissement qui suit la sortie du bain de friture.

Quand huile et frite fluorescent

Les échantillons analysés sont de fines tranches de pommes de terre préalablement déshydratées dans de la vapeur d’eau surchauffée à 115°C, de façon à reproduire une croûte d’aliment frit sans avoir à utiliser d’huile (figure 1). Ces « simili-croûtes » sont alors baignées dans de l’huile chaude (125°C) sur une plaque également chaude (100°C), elle-même placée sous l’objectif d’un microscope (figure 2).

Figure 1 : un échantillon de lamelle de pomme de terre utilisé lors de l’étude, pour « simuler » une croûte d’aliment frit.

Les cellules de pomme de terre émettent une fluorescence naturelle, due à la présence de composés phénoliques dans leurs parois, lorsqu’elles sont éclairées par une lumière UV de longueur d’onde appropriée (280-290 nm), une gamme d’énergie accessible avec une telle brillance uniquement sur DISCO. Par ailleurs, un colorant spécifique (diphényl hexatriène) a été ajouté à l’huile afin qu’elle fluoresce également dans ces conditions, mais en émettant une longueur d’onde différente de celle des cellules de l’échantillon, afin de pouvoir distinguer les deux.

Figure 2 a-b : L'échantillon est placé sur une platine horizontale contrôlée en température. La seringue placée au-dessus de l'échantillon permet d'ajouter de l'huile fluorescente à température également contrôlée. Le faisceau d'UV vient éclairer l'échantillon par le dessous, et le détecteur enregistre la fluorescence émise sous l'échantillon.

Il est donc possible de voir à la fois la forme et les éventuels défauts des tissus de la croûte, et le trajet suivi par l’huile lorsqu’elle entre en contact avec cette croûte. Les chercheurs assistent ainsi, en temps réel et en 3 dimensions, aux phénomènes microscopiques qui accompagnent la « sortie de friteuse ».

Les images 3D obtenues après déconvolution1 sont ensuite utilisées pour construire un modèle qui permet de simuler sur ordinateur la pénétration d’huile dans l’aliment en fonction de l’état d’endommagement des tissus – par exemple suite à sa congélation.

Vers de nouvelles stratégies à l’échelle industrielle

Les résultats, que ce soient les images de microscopie de fluorescence ou les simulations qu’elles permettent d’obtenir, montrent que la percolation de l’huile au travers des cellules (végétales, dans ce cas) est un processus très hétérogène, dans l’espace mais aussi le temps. Ce n’est pas la quantité d’huile baignant l’aliment qui va influer sur son absorption, en profondeur ou latérale, mais la qualité des tissus de l’aliment : tout dépend si les cellules ont été abimées et forment des « puits » ou des « canaux » dans les tissus.

Figure 3 : observation d’un échantillon de « croûte » de deux à trois cellules d'épaisseur, en mode de fluorescence (grossissement x 10). 
Après excitation de l’échantillon par un faisceau UV de longueur d’onde 295 nm, la structure des cellules végétales est visible par auto-fluorescence des parois des cellules (UV émis : 320-500 nm).

 

Figure 4 : les mêmes cellules excitées par le faisceau UV après ajout de l'huile. On détecte la fluorescence des parois cellulaires mais également celle de l'huile (UV émis : 400-500 nm), localisée ici dans quelques cellules en surface de l'échantillon. 

Basées sur ces données, de nouvelles stratégies sont proposées pour diminuer, au niveau des procédés de fabrication industriels, la quantité d’huile absorbées par les fritures à cette étape de leur préparation.

Ces recherches s’inscrivent dans le cadre de la thèse Cifre de Jean-Michaël Vauvre et du post-doctorat d’Anna Patsioura, dans l’équipe d’Olivier Vitrac. 

1- déconvolution : procédé algorithmique utilisé en traitement du signal et d'image, notamment en microscopie pour améliorer la résolution et le bruit des images.