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Un nouveau dispositif haute pression / basse température

En matière condensée, l'exploration du diagramme de phase en fonction des paramètres thermodynamiques constitue une méthode adéquate pour modifier les propriétés des échantillons afin de comprendre le mécanisme microscopique qui sous-tend ces propriétés. La lumière synchrotron infrarouge (IR), dont la brillance est bien plus élevée que les sources IR conventionnelles, est idéale à associer aux dispositifs nécessitant des flux de photons intenses, par exemple avec les dispositifs à haute pression basés sur les cellules à enclume de diamant (CED). D'autre part, les diamants étant transparents dans les domaines IR et Térahertz (THz), ils conviennent bien aux expériences de transmission ou de réflectivité basées sur des CED.

La conception et le développement du nouveau dispositif haute pression / basse température (HPLT) disponible sur la ligne de lumière AILES ont été soumis aux exigences suivantes :

  • La pression appliquée à l'échantillon doit pouvoir atteindre au moins 20 GPa.
  • Le dispositif doit être compatible avec une gamme spectrale étendue (toutes les régions de l'IR jusqu'à 25 cm-1).
  • La température de l'échantillon doit pouvoir atteindre 20 K.
  • Le dispositif doit permettre de changer et de mesurer la pression à l'intérieur de la cellule.
  • Le montage optique doit permettre de mesurer la transmission IR ou la réflectivité IR.

En combinant le faisceau synchrotron disponible sur la ligne de lumière AILES avec le nouveau dispositif HPLT, il est possible d’obtenir des spectres IR en transmission jusqu’à 25 cm-1 et en réflectivité jusqu’à 60 cm-1 avec un rapport signal/bruit élevé.

Absorption de la glace dans l’IR lointain, en fonction de la température et de la  pression

Le diagramme de phase de la glace est complexe, avec 18 phases cristallines et trois phases amorphes. Toutes ces phases cristallines font intervenir des molécules d'eau liées par des liaisons hydrogène avec quatre autres molécules, les deux atomes d'hydrogène étant équivalents dans la plupart des cas. Les protons ont tendance à s'ordonner à mesure que la température diminue, tandis que les distances entre voisins de la deuxième couche diminuent à mesure que la pression augmente. La spectroscopie IR est une technique de choix pour l'étude de la création et de la conformation d'une liaison hydrogène. En particulier, dans le domaine IR lointain (FIR), on sonde directement les modes intermoléculaires, à savoir les modes de libration (rotation frustrée des molécules d'eau reliées par des liaisons hydrogène) et la bande de connectivité (vibration d'élongation entre deux molécules d'eau reliées par une liaison H).

La CED a été chargée d'eau liquide sans aucun autre média de pression. Seules un ou deux billes de rubis ont été ajoutées pour évaluer la pression à l'intérieur de la CED. Les mesures ont été effectuées avec un interféromètre HR 125 Bruker équipé d'un bolomètre à 4,2 K et d'une lame séparatrice de 6 µm en Mylar. Les spectres IR ont été enregistrés en transmission entre 25 cm-1 et 550 cm-1 au moyen du faisceau synchrotron, avec une résolution de 1 cm-1.

La Figure 1 présente les spectres d'absorbance de l'eau liquide (Figure 1A) et de la glace (Figure 1B–D). Dans la phase liquide (Figure 1A), la bande de connectivité est centrée au voisinage de 180 cm-1 et superposée au côté basse énergie de la bande de libration. Avec la transition vers la glace, la bande de connectivité devient plus étroite et se déplace vers les hautes fréquences tandis que le mode de libration se resserre. Sachant que la bande de connectivité représente un sondage direct des liaisons hydrogène, les changements structurels (et dans une plus large mesure l'ordonnancement des protons) altèrent profondément le profil spectral, chaque type de glace présentant une signature spectrale différente.

Figure 1 : Spectres d'absorption (A) De l'eau liquide à T = 300 K et P = 1 bar, (B) De la glace VI à T = 300 K et P = 1,5 GPa, (C) De la glace VII entre T = 300 et 240 K à P = 2,5 GPa, (D) De la glace VIII entre T = 220 et 70 K à P = 2,5 GPa.

Le nouveau dispositif a permis d'étudier trois phases de l'eau solide. En effet, comme l'illustrent les Figures 1B–D, les spectres d'absorbance FIR de chaque type de glace sont fortement altérés par rapport à l'eau liquide. En particulier, la transition liquide vers glace VI réduit la largeur des bandes de connectivité qui caractérisent l'ordonnancement des molécules dans un réseau solide. La glace VII présente une signature FIR complexe qui est liée aux deux réseaux interposés de glace. Enfin, la glace VIII présente d'autres modifications des spectres IR lointain, avec l'apparition de deux bandes intenses et étroites (bien que saturées) à 200 cm-1 et 510 cm-1, qui peuvent clairement être mises en relation avec l'ordonnancement des protons.

En conclusion, le dispositif HPLT désormais disponible sur la ligne de lumière AILES permet de réaliser des études de matière condensée par spectroscopie IR dans des conditions thermodynamiques très variées. La haute stabilité de la source synchrotron de SOLEIL associée à la haute stabilité spatiale du dispositif permettent de réaliser des mesures optiques très précises avec une extension optimale dans la gamme THz.